Paolo et Vittorio Taviani : " Notre mémoire s'est transformée au contact de la mémoire des autres." "
La Nuit de San Lorenzo fait écho au premier film réalisé par les frères Taviani, San Miniato, luglio '44. Il suit1
Navigateur non compatible. Veuillez utiliser un navigateur récent
La révolte d'un enfant sarde, promis à être berger et qui devint écrivain contre la volonté de son père, son "patron". Palme d'or Cannes 1977.
Gavino a 6 ans lorsque son père le retire de l'école de son village sarde pour l'envoyer garder les moutons dans les collines. Livré à lui-même, illettré, il grandit dans la solitude la plus totale mais découvre, à l'armée, l'italien, le grec et le latin et se passionne pour la littérature... Palme d'or au Festival de Cannes 1977, l'histoire vraie de l'écrivain Gavino Ledda racontée par les frères cinéastes militants, futurs auteurs de "Kaos" et "La Nuit de San Lorenzo".
Le lecteur n'est pas installé ?
Pour votre information, la lecture en mode hors-ligne n'est pas compatible avec le système d'exploitation Linux
" La terre, sèche, pierreuse, est muette. Pris entre roche et soleil, comme dans un étau, les hommes vivent une misère brutale, dégradante.
" La terre, sèche, pierreuse, est muette. Pris entre roche et soleil, comme dans un étau, les hommes vivent une misère brutale, dégradante. Les frères Taviani racontent la campagne sarde aux antipodes de tout pittoresque méridional. Le quotidien, dans cet enfer calcaire d'une âpre beauté, nous est montré avec une précision, une rigueur quasi documentaire. Le montage est syncopé, rude, alternant la lenteur et la violence. En point d'orgue, une hallucinante scène de rut mêle hommes et animaux dans la même bestialité.
Et, peu à peu, le film cesse de haleter, prend de longues inspirations. Il s'ouvre sur l'éblouissant récit (inspiré de l'oeuvre autobiographique de Gavino Ledda) d'une seconde naissance. A grandes lampées, Gavino étanche sa soif d'instruction, se révèle à lui-même. Son retour, une fois « éclairé », parmi les siens, prend tout son sens : car Padre Padrone (Palme d'or à Cannes en 1977), sous ses dehors râpeux, est un film militant, idéaliste, un film politique, un manifeste en faveur du savoir, de la culture, qui peut - et qui doit - rendre à chacun sa dignité. Un chef-d'oeuvre."
"... si l’on cherche, dans l’œuvre des Taviani, un film autobiographique, c’est bien en Padre padrone qu'on le trouve, plus encore que dans
"... si l’on cherche, dans l’œuvre des Taviani, un film autobiographique, c’est bien en Padre padrone qu'on le trouve, plus encore que dans La Nuit de San Lorenzo (le massacre de San Miniato, épisode tragique de leur enfance toscane), ou dans l’histoire des deux frères cinéastes de Good Morning Babilonia. Car cette maîtrise du langage que Gavino apprend n'est autre que le principe qui informe tout le cinéma des Taviani, et qui leur fait préférer la fiction au documentaire, et proclamer haut et fort, après Pasolini, le refus du naturalisme. Avant d’entrer en cinéma, les deux cinéastes n'avaient-ils pas tenté, au théâtre, de greffer Brecht sur le néoréalisme ? La conscience du langage comme médiation est la condition de l’autonomie, et le langage audiovisuel, malgré l’effet de réalité de l’image photographique, n’échappe pas à la règle.
Ce refus du naturalisme explique que les cinéastes ne s’imposent pas le recours au dialecte sarde pour les séquences en Sardaigne, pas plus qu’ils ne choisissent les uniformes des Allemands dans La Nuit de San Lorenzo en fonction de la conformité historique (ils choisissent plutôt les uniformes de l’Afrikakorps, pour rendre vierge l’image de ces soldats), ou pas plus qu’ils ne s’interdisent l’anachronisme et la fantaisie au cœur d’un épisode historique (l'apparition de guerriers grecs dans la bataille opposant fascistes et antifascistes dans ce même film).
De manière générale, le langage audiovisuel des Taviani remplit trois fonctions que Gavino Ledda découvre en passant du dialecte à l’italien, puis en devenant linguiste : il est un moyen de communication, un outil critique, et un matériau poétique. De ce point de vue, l'horizon de Padre padrone nous semble être César doit mourir, qui met en scène le processus de libération des détenus de la prison de Rebibbia par l’appropriation de la culture : les répétitions en dialecte du Jules César de Shakespeare, récit d’un tyrannicide qui est aussi un parricide, permettent aux prisonniers de s'ouvrir à autrui (via un travail du dialecte pour le sortir de son particularisme) tout en plongeant aussi en eux-mêmes (la maîtrise du langage comme outil de connaissance de soi), et en réinventant le texte classique..."
" Il faudrait y mener les enfants et les vieillards, les adolescents mélancoliques et les parents accablés. Les ministres de la Culture aus
" Il faudrait y mener les enfants et les vieillards, les adolescents mélancoliques et les parents accablés. Les ministres de la Culture aussi, et de tous les pays. Parce qu'il n’y a personne que Padre padrone ne concerne en quelque part de lui-même et qui ne puisse y puiser davantage que dans dix livres théoriques sur l’enfance, la communication, l’orgueil, le savoir, le pouvoir, l’inscription de l’aventure personnelle dans la vie collective, le silence, la musique. Tout cela sans que la tension du récit ne fléchisse le temps d’une image.(...)
Dans l’une des dernières images, celle où l’on voit le vrai Gavino Ledda aujourd'hui, à trente-six ans, il se balance, d’avant en arrière. On peut faire un linguiste d’un berger. On ne peut pas faire un adulte équilibré d’un enfant privé d’amour.
Le personnage tragique de Padre padrone, ce n'est pas le garçon. Lui s’est évadé, même s'il demeure mutilé. C’est le père.
Traité allegro presto, sans un temps mort, avec un lyrisme âpre et parfois un panthéisme qui peuvent agacer les palais délicats - Ah ! Ce n’est pas du Bresson ! - le film des Taviani peut être récupéré, comme on dit aujourd’hui, de tous les côtés sauf du côté de la dérision (...) Que l'on déchiffre Padre padrone comme un cri de révolte ou comme un cri d’espoir, comme une dénonciation de l’ordre social ou comme une démonstration de volonté individuelle, comme une symphonie sur le silence ou sur les mots, il reste que Paolo et Vittorio Taviani - deux frères qui ne font qu’un réalisateur - ont quelque chose à dire, et qu'ils le disent avec force et tendresse. Où donc voit-on cela si couramment au cinéma ?"
" Avant les Coen, les Hughes, les Quay, les Wachowski, les Farrelly; il y avait les Taviani (...) : les plus grands frères du cinéma depuis
" Avant les Coen, les Hughes, les Quay, les Wachowski, les Farrelly; il y avait les Taviani (...) : les plus grands frères du cinéma depuis les Lumière (...). Et quand ils donnent le meilleur d’eux-mêmes avec des œuvres comme Padre padrone, La Nuit de San Lorenzo, Kaos et Les Affinités électives, ils ressemblent beaucoup aux Lumière : les images et les sons qu’ils capturent sont si étranges, si frais, si inexplicablement beaux qu'on croirait presque qu’eux aussi étaient là au moment de la création. C’est une idée fantastique, certes, mais les films des Taviani tendent à solliciter les forces les plus enfouies de l’imagination."
Terrence Rafferty, 2001" ... Passé l’adolescence, qui n’est dans le film qu’une longue ellipse, comme si rien de nouveau n’avait pu se produire, que l’accoutumance
" ... Passé l’adolescence, qui n’est dans le film qu’une longue ellipse, comme si rien de nouveau n’avait pu se produire, que l’accoutumance et l’abrutissement, le perfectionnement et l’intériorisation de la contrainte (par un simple raccord, on retrouve Gavino exactement dans la position où il était plus de dix ans auparavant, allongé dans une fosse creusée devant sa cabane de berger, mort-vivant terré au fond d’une tombe), le récit reprend sur la jeunesse du héros, sur sa révolte et son réveil encore incertains.
Mais ce qui s’affirme alors c’est la dépendance économique du fils à l’égard du père. Ce père qui prépare sa succession, qui agit et calcule en sorte que Gavino ne soit plus seulement pour lui une main-d’œuvre mais devienne capable de prendre sa place, comme le veut le droit d’aînesse, à la tête de l’entreprise familiale dont le capital aura entre-temps fructifié. Le fils est un placement, un investissement : par un plan, avec toute la famille menée par le père, on se prépare à entrer chez un banquier et au plan suivant, mis bout à bout, comme de l’autre côté de la porte, Gavino commence son instruction militaire, volontaire dans l’armée sur les ordres de son père qui voulait qu’il apprenne ainsi les rudiments indispensables à son futur exercice du pouvoir.
Le désir se déclare peu à peu, dans la peur et l’angoisse, de passer d’une technique à une autre, puis d’une culture à une autre. Ce n’est plus d’efficacité immédiate dont il est question (se nourrir, traire les brebis, écouter les vents, se défendre du gel ou de la chaleur) mais de s’initier à un système de signes, pas moins complexe (comme le montrait si bien Kurosawa avec Dersou Ouzala), plus abstrait ou plus arbitraire, en tout état de cause radicalement étranger à l’expérience de Gavino Ledda. D’acquérir une intelligence différente des instincts enseignés par le père, une intelligence tournée vers l’expression, vers la communication : après la musique qui libère un peu de la pauvreté et de l’isolement, viennent la parole, l’écriture (en langues étrangère ou mortes : l’italien, non le sarde, le latin et le grec), l’électronique, la radio, la linguistique.
L’émotion du film est là : cet apprentissage des codes, manière de revanche contre la privation d’école, cette seconde mère, et contre la langue paternelle, Gavino le paie de son corps. Il se tranche les lèvres, d’abord, pour ne pas avouer son ignorance, comme autrefois pour ne pas avoir à répondre de ses actes (deux agneaux échangés contre un accordéon). Il se bande les yeux, se rend aveugle en se dirigeant au flair, afin de mériter une leçon d’italien. Il se blesse, se brutalise, il étudie malgré son corps, comme son père finalement le lui a appris, sous les coups, malgré le ridicule, l’épuisement, la promiscuité. On le voit, dans le but de s’isoler, réciter mot à mot un livre, assis dans les W.-C. de la caserne, pour bien indiquer que c’est une envie de régression qui l’anime, à la fois un rejet, y rompris du monde extérieur, et un énorme appétit, une boulimie de savoir (1).
Les Taviani aiment bien raconter des romans d’évasion, évasions par la parole et ses fictions dans Saint Michel avait un coq comme dans Allonsanfan, traversant ici les murs d’un cachot avant de se heurter aux réalités, et là débouchant sur la trahison la plus insidieuse, qui finit par prendre le héros à son propre piège (et même, autrement, le spectateur).
Dans Padre Padrone, Gavino Ledda n’a qu’une idée en tête, celle de s’évader, de s’en sortir, du pays natal et de l’omniprésence du père, de se sauver sur un autre terrain. Puisque lui n’a pas réussi à émigrer en Allemagne comme les jeunes de son village (...), Gavino se met à apprendre, à l’armée qu’il utilise à son avantage puis à l’université, ce que son père ne lui a pas appris et ce que son père ne sait pas. Il s’exile et se déracine, devient un autre homme, pour finalement revenir au pays, refuser de devenir ailleurs un privilégié et donner ainsi au père sa dernière victoire. Dans le dessein de ruiner le modèle patriarcal ou plutôt, du dehors, de le rendre moins inhumain ?, c’est ce que ne disent pas les Taviani, ce qui ne semble pas vraiment les intéresser.
Pour conter sa fable, donnant leçon d’espoir et de volonté, le film emprunte, en fait, la structure du mythe, comme d’une odyssée : un récit des origines qui paraît, à première vue, hors du temps, puis un voyage initiatique suivi d’un retour qui laisse pourtant le héros déphasé parmi les siens. Il résume le parcours d’un paysan devenu un intellectuel, tout en laissant de côté le déséquilibre que cela suscite et la transformation qui, à nouveau, pourrait en naître. Un cas de réussite, mais qui ne se prétend pas purement individuelle, car Gavino Ledda voudrait que son exemple soit suivi et que d’autres, aussi défavorisés que lui, y prennent leurs chances, puisqu’il est la preuve vivante que son exception, au risque de lui servir d’alibi, peut toujours devenir la règle.
Mais l’individualisme de cette aventure est bien, malgré tout, l’important : dès que des groupes ou des collectivités sont figurés dans le film, au montage et par la dureté ou l’ironie de la description, les vieilles métaphores grégaires, animales, apparaissent, pesantes et symptomatiques, envahissent l’écran avec insistance, comme naturellement, pour peu à peu faire place nette autour du héros, lui qui est plus beau que nature. Le contre-point de son ascension c’est, confusément, le cloaque, la cruauté et sa surenchère, la crudité, la sauvagerie ambiante, voire la bêtise. C’est dire l’ambiguïté, à l’instar du rire de la mère de Gavino, et le cours forcé, les aspects incertains et douteux en dépit de toute sa beauté, de la démonstration des Taviani, contrainte en quelque sorte de lâcher ou d’exhiber quelques monstres, de céder à l’obscénité, aux jeux du cirque."
1. Le récit, remarque Louis Seguin, « restitue une fiction minutieuse du marchandage (...) Plus encore, chaque épisode dans ce roman de la tractation, se surcharge d’un commentaire qui se démarque de toute littéralité, de toute glose, pour apporter à la fable de l’échange, au risque très calculé de la fausser, la monnaie imprévue de l’excédent ou du manque ». {La Quinzaine littéraire, 13-31 octobre 1977.)
Ciné Phil au sujet de
Nos offres d'abonnement
BASIQUE ETUDIANTS
1 | € |
le 1er mois(1) |
SANS ENGAGEMENT puis 4,99€ /mois
Sur présentation d'un justificatif(2)
BASIQUE
1 | € |
le 1er mois(1) |
SANS ENGAGEMENT puis 6,99€ /mois
PREMIUM
9 | ,99€ |
/mois |
SANS ENGAGEMENT
* A l'exception des films signalés
CINÉPHILE
15 | ,99€ |
/mois |
SANS ENGAGEMENT
*A l'exception des films signalés
BASIQUE ETUDIANTS
49 | ,99€ |
/an |
Sur présentation d'un justificatif(2)
BASIQUE
69 | ,99€ |
pour 1 an |
PREMIUM
99 | ,99€ |
pour 1 an |
* A l'exception des films signalés
CINÉPHILE
175 | ,99€ |
pour 1 an |
* A l'exception des films signalés
Vous devrez fournir un justificatif de scolarité (carte étudiante ou certificat, en .pdf ou .jpg).
UniversCiné se réserve le droit d'annuler l'abonnement sans possibilité de remboursement si la pièce
jointe envoyée n'est pas conforme.
Offre valable 12 mois à partir de la date de l'abonnement
_TITLE