Il appartenait d'ailleurs, comme Vojciech Jasny, comme Karel Kachyna, à la génération précédente, celle qui vint en cinéma au début des années 50, mais il ne signa avant 1960 que des courts métrages documentaires.
Quant à ses premiers films de fiction, La Colombe blanche (1960) et Le Piège du diable (1962), ils ne franchirent pas les frontières du pays. Mais leurs qualités devaient être suffisamment affirmées (on considère le premier comme pionnier dans le renouveau du cinéma tchèque) pour que Vláčil ait les moyens de se lancer dans un projet aussi démesuré, à l'échelle de la cinématographie nationale, que l'adaptation du livre de Vladislav Vancura, Marketa Lazarova, grand roman national tchèque publié en 1931 – et qui n'est disponible en traduction française que depuis 1993.
Fresque moyenâgeuse passionnée, multipliant les personnages et les points de vue narratifs, le roman passait pour inadaptable. Il fallut d'ailleurs quatre années à Vláčil, aidé du scénariste Frantisek Pavlicek, pour mener à bien cette aventure : quatre années de recherches documentaires sur les modes de vie, les costumes, les armes, des brigands du XIIIe siècle.
Quatre années qui aboutirent à un superbe résultat : le grand film épique, le seul sans doute, d'un cinéma tourné vers l'intimisme ou les problèmes posés par l'édification du socialisme. Un film qui ne ressemble à rien de ce qui se faisait alors, ni en Tchécoslovaquie ni dans les pays voisins, la seule œuvre équivalente étant Andrei Roublev, tourné par Andreï Tarkovski au même moment – le rapprochement avec ce chef-d'œuvre n'étant pas gratuit.
On y retrouve le même souffle lyrique, la même splendeur visuelle dans un noir & blanc sublimé par l'opérateur Bedrich Batka, la même réussite dans la reconstitution soigneuse d'une époque, la même dimension métaphysique, au point de jonction historique entre le paganisme toujours vivace et le christianisme qui gagnait du terrain. Malgré sa durée (160 minutes), son refus de l'imagerie hollywoodienne habituelle du film en costumes (ce n'est ni Ivanhoé, ni même Spartacus), sa narration en chapitres parfois elliptiques, Marketa Lazarova demeure, selon les critiques nationaux, le plus grand film de l'histoire du cinéma tchèque.
On conçoit mal qu'une telle œuvre soit restée aussi longtemps hors d'atteinte du public occidental, malgré sa présentation à Cannes par la Quinzaine des réalisateurs en 1969.
Ce n'est qu'en 1972 qu'elle parvint sur les écrans français. Entre temps, Vlacil avait tourné deux films, La Vallée des abeilles (1967) et Adelaïde (1968), dont le second subit quelque retard dans sa diffusion, puisque le Grand prix du festival national de Pilsen ne lui fut attribué qu'en 1990…
Resté au pays pendant la "normalisation", Vláčil échappa au placard et continua à tourner vaille que vaille, alternant documentaires, longs métrages de fiction et téléfilms, sans qu'aucun d'entre eux apparaisse hors de Tchécoslovaquie, ni La Fumée des fanes de pommes de terre (1977), ni Les Ombres d'un été torride, pourtant récompensé au festival de Karlovy-Vary en 1978. Il est difficile de croire que son talent s'était évanoui brutalement et qu'il ne restait rien dans ces titres inconnus de la puissance visuelle dont il avait preuve dans Marketa Lazorova.
Après Le Poète maudit (1988), dix ans avant son décès, il cesse de tourner, à 64 ans, signe que sa position dans la cinématographie tchèque n'était plus très solide. Vu de l'extérieur, il demeure l'homme d'un seul film – mais quel film ! -, le sommet d'une œuvre que l'on aurait souhaité mieux distribuée.
Lucien Logette