Issu de la Famu, comme toute l'équipe, il participe aux Petites Perles au fond de l'eau, assemblage de courts qui servira, en 1965, de manifeste à la génération. Ce qui lui permet de rencontrer Bohumil Hrabal, alors le plus célèbre écrivain tchèque (chaque court métrage illustrait une de ses nouvelles) et de mener avec lui une collaboration durable, puisque cinq de ses films, entre 1966 et 2007, seront adaptés de ses romans, souvent avec l'aide de Hrabal lui-même.
Trains étroitement surveillés (1966), le premier d'entre eux, est un coup de maître, puisque, en complément de son succès international, il décroche l'Oscar du meilleur film étranger, juste un an après Jan Kadar & Elmer Klos pour Le Miroir aux alouettes, double consécration pour le cinéma tchèque. Menzel a su transcrire très exactement l'univers particulier de Hrabal, à la fois comique, grinçant et dramatique.
Et lui donner cette apparence douce-amère, trompeuse – le site imdb hésite à le qualifier et le classe en "Comedy/Drama"… -, car le film est en réalité un drame, drame d'amour et de mort qui se termine tragiquement.
Mais avant l'épilogue, Menzel aura donné une tonalité comique à la peinture de tout le petit monde qui peuple la minuscule gare du village de Bohême où se croisent trains de civils et trains de soldats allemands (nous sommes en 1944) ; plus que le dénouement, ce sont les portraits qui demeurent, des portraits pleins d'un humour un peu gris : le jeune héros, qui, sous son bel uniforme tout neuf d'assistant sous-chef de gare, découvre les tourments d'une sexualité adolescente et les difficultés pour assurer l'acte qui le transformera en adulte, le sous-chef, obsédé par les femmes qui traversent le paysage et qui crève les canapés sous lui, le chef, amoureux de ses pigeons et qui rêve de devenir inspecteur, le responsable nazi, enfin, qui vient prêcher régulièrement l'engagement pour l'Europe nouvelle.
Tous croqués, avec une patte digne de Hrabal, dans leur petitesse et leurs gentils ridicules, mais capables de faire sauter si nécessaire un train de munitions. La bureaucratie y est dénoncée, mais de façon mouchetée, et le renvoi du récit à l'occupation allemande déminait tout problème avec la censure, ce qui ne sera pas toujours le cas.
Car si son film suivant, Un été capricieux, sélectionné à Cannes en 1968 (mais non projeté), remporta le Grand Prix au festival de Karlovy-Vary, Alouettes, le fil à la patte, tourné en 1969, se retrouva immédiatement dans les placards de la Censure, d'où il mit vingt ans à sortir.
Il faut reconnaître, que, toujours d'après Hrabal, Menzel avait frappé très fort et que sa description du groupe d'ouvriers trieurs de ferraille (tous d'anciens petits-bourgeois "régénérés" par le travail) et de prisonnières (condamnées pour avoir tenté de quitter le pays) travaillant sur des chantiers contigus était une charge particulièrement réussie. Quoique le film soit censé se passer en 1950, la bêtise bureaucratique, la langue de bois des slogans affichés ("Travaillons dans la joie"), l'apparition régulière de policiers en civil embarquant les ouvriers trop bavards, la corruption, tout constituait une critique transparente du socialisme "normalisé" du moment. L'exceptionnelle portée du film, et sa qualité, éclatèrent lorsqu'il fut présenté au festival de Berlin en 1990 et qu'il y remporta l'Ours d'or.
Entre temps, Menzel avait été mis à l'écart, comme bien d'autres, mais il resta au pays et recommença à tourner en 1974 ; il fallait être familier des festivals pour découvrir les quelques films qu'il signa avant Ces merveilleux hommes à la manivelle (1978), très jolie évocation de l'époque héroïque des "tourneurs" projetant des films d'un village à l'autre, ou Une blonde émoustillante (1980). Mon cher petit village, en 1985, fut le premier de ses films à connaître une exploitation en France depuis ses Trains de 1966.
Ses spectateurs purent constater que Menzel n'avait rien perdu de son talent, au contraire, et que cette nouvelle description amusée d'une bourgade ordinaire, avec sa coopérative, ses officiels empêtrés, ses amants furtifs, son médecin poète et son idiot de village désarmant de gentillesse constituait ce qu'il avait tourné de plus juste et de plus charmant.
Sous sa griffe délicate, le tableau du "socialisme réel" semblait signé Jacques Tati première époque. Menzel faillit décrocher un nouvel Oscar du film étranger, ce qui aurait été une première.
Après avoir, trois ans avant la mort de celui-ci, consacré un documentaire à Hrabal, Menzel adapta de nouveau en 2007 un de ses romans, Moi qui ai servi le roi d'Angleterre, assez délirante satire de la Tchécoslovaquie des année 30, avant la crise des Sudètes.
Même sur un sujet moins actuel, il montra que son œil critique était toujours aussi acéré. De tous les cinéastes restés au pays, plus que Jires qui dut se contenter surtout de documentaires, plus que Chytilova, toujours aussi provocante, plus que Němec, c'est lui qui a gardé la tonalité la plus cohérente : c'est son univers à la fois tendre et féroce qui inspire les films les plus attachants de nouveaux réalisateurs de l'Est, tchèques (Robert Sedlacek, Men in Rut, 2009), hongrois (Gyorgy Palfi, Hic, 2004) ou polonais (Andrzej Jakimowski, Un conte d'été polonais, 2007). Menzel a une postérité, et c'est heureux.
Lucien Logette