Avant le retour de Luis Buñuel dans son pays en 1961, J.A. Bardem fut longtemps le seul réalisateur connu hors des frontières de l'Espagne.
Il faut reconnaître que, dans un cinéma ibérique ligoté par la censure franquiste, et qu'il définissait lui-même comme "politiquement inefficace, socialement faux, intellectuellement infirme, esthétiquement nul et industriellement rachitique", ses deux films de 1955 et 1956, Mort d'un cycliste et Grand'rue, avaient allure de chefs-d'œuvre. La justesse de cette description sociale et psychologique d'une bourgeoisie provinciale étouffante, respectivement servie par deux actrices remarquables, Lucia Bosé et Betsy Blair, fit les délices des ciné-clubs et des cinémas d'essai jusqu'au début des années 60.
On comprend mal pourquoi ses films suivants restèrent inconnus : il faudra attendre 1965 et la présentation au Festival de Cannes des Pianos mécaniques, coproduction internationale aux acteurs renommés (James Mason, Melina Mercouri), pour revoir son nom sur les écrans français. Sans beaucoup de succès, jusqu'à ce qu'il vienne ici réaliser, avec Henri Colpi, L'Île mystérieuse (1973), quatrième et réjouissante adaptation en deux versions, cinéma et télévision, de Jules Verne, avec Omar Sharif en capitaine Nemo.
Ensuite, une nouvelle malédiction le frappa : aucun des dix films qu'il réalisa avant sa disparition ne nous est parvenu. On peut en déduire qu'ils n'atteignaient pas la hauteur des ses films anciens, justement célèbres, qui demeurent un témoignage sans complaisance sur une société espagnole révolue.
