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En 1429, Jeanne d'Arc, héroïne de la Guerre de Cent Ans, qui a permis au Dauphin de monter sur le trône, est livrée aux Anglais et passe devant ses juges.
En 1429, la guerre de Cent Ans est à son apogée. Jeanne libère Orléans et remet Charles VII, le Dauphin, sur le trône de France. À Paris, son autorité est remise en cause quand elle subit sa première défaite. Emprisonnée à Compiègne, elle est livrée aux Anglais. Commence alors son procès, dans la cathédrale de Rouen, dirigé par Pierre Cauchon. Elle est jugée parce qu’elle porte des vêtements d'homme, attaquée pour avoir levé une armée afin de combattre les Anglais et ignoré le traité de paix, puis jugée pour hérésie. Quand on la questionne, Jeanne affirme avoir été missionnée par Dieu...
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"Il y a deux ans, la comédie musicale Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc sidérait par son assemblage hétéroclite : acteurs non professionnels, voix de la bergère de Domrémy sur du prog metal avec des gamines lancées dans de longues séances de headbanging (1). L’action s’achevait sur le départ de Jeanne pour Chinon à la rencontre de Charles VII et on espérait secrètement qu’une suite poindrait. La voici. Jeanne, plus long, plus dense, plus mûr, marque le retour de Bruno Dumont au XVe siècle sur les traces de la pucelle d’Orléans mais aussi de Charles Péguy. Dans un hôtel parisien, une semaine avant la sortie, nous avons tenté de dresser avec le cinéaste le portrait de sa Jeanne d’Arc - et en creux de son film.
Lorsque débute cette deuxième partie, le personnage a 17 ans. A la fin de Jeannette, il est interprété par Jeanne Voisin, une comédienne de cet âge. En toute logique, Dumont avait pensé lui confier le rôle pour la suite. Mais, après un accord de principe, l’actrice s’est montrée hésitante. «Normalement, ce genre de réticence se surmonte, c’est le rôle d’un metteur en scène de discuter et de convaincre. Mais je ne me suis pas battu, j’ai dit : on laisse tomber. Mon inconscient ne devait pas vouloir travailler le personnage de Jeanne à l’âge qui lui correspondait», raconte Dumont. Se rendant compte qu’aucune des Jeanne d’Arc de cinéma ne correspondait à la vérité du rôle (Renée Falconetti avait 35 ans chez Dreyer, Ingrid Bergman 33 chez Fleming, Sandrine Bonnaire 27 chez Rivette…), il pense alors à réemployer la «petite Jeanne», Lise Leplat Prudhomme, 10 ans, qui interprétait Jeannette. L’histoire de l’art le renforce dans son idée : les peintres gothiques flamands de l’époque jouent avec les disproportions. «Je ne voulais pas être fantaisiste, perché pour le plaisir d’être perché. Mais en réalité, l’âge de Jeanne n’a pas d’importance et n’a jamais gêné personne, note-t-il. Il empêche l’illustration historique, qui devient une illustration métaphorique et plus contemporaine, ce à quoi je crois.» Véracité historique mais traitement loin des canons du réalisme, telle est la nature tiraillée du film. «Avec son armure, la petite était extraordinaire. Il suffisait qu’elle arrive sur le plateau pour que l’ambiance change», se souvient Dumont. A l’écran, le fait que Jeanne soit interprétée par une enfant de 10 ans décuple tout, l’héroïsme, l’injustice, la violence. «J’ai senti un entrain nouveau. Une régénérescence qui manquait au projet. C’était revitalisant.» Au fond, «la petite», comme l’appelle Dumont, a joué sur le plateau le rôle endossé par Jeanne lors du siège d’Orléans, celui du fétiche galvanisant, dont la seule présence suffit à redonner confiance à toute une armée.
Le film cueille le personnage dans un dilemme fondamental. Après avoir rapidement ouvert sur la victoire à Orléans, il montre Jeanne à un tournant de son expérience : l’attaque de Paris, en septembre 1429. Jeanne ne bénéficie pas de l’appui du roi et se trouve à la tête d’une armée qui doute d’elle. Elle est seule, dans un décor vide d’arrière-plage où vont se succéder les délégations de personnages comme autant de pièces d’échecs : ceux qui se défient d’elles (Regnault de Chartres, Raoul de Gaucourt), ceux qui sont ses alliés et qu’elle décevra (Gilles de Rais).
Se tient sur ces dunes un premier procès, celui de Jeanne parmi les siens, au sein du clan des Armagnacs. Elle a sauvé la royauté, certes, mais elle est devenue franc-tireur. Et, intérieurement, vit une bascule dans l’âge adulte : Jeanne s’assume. Elle se montre responsable de sa stature de cheffe de guerre, de ses omissions volontaires pour convaincre ses lieutenants récalcitrants d’attaquer la capitale, et endosse même une vision morale face aux méthodes de Gilles de Rais qui vante le pillage. «Dans la pièce de Péguy dont le film est adapté, les batailles et le procès sont des sujets différents, plus mûrs. On quitte définitivement l’enfance.» Après avoir découvert l’autorité de Dieu, Jeanne découvre ici celle des hommes.
L’ambiance est à l’atterrissage, loin du ciel, près de la terre. Coups de masse réguliers scandant les dialogues sur des tambours d’ordonnance, chorégraphies chevalines évoquant les batailles (sans budget pour les combats, Dumont s’est rabattu sur les danses de la Garde nationale), soleil haut et aveuglant… la transe de Dieu qui portait Jeannette et lui faisait voir sainte Marguerite juchée sur un arbre devient ici transe de guerre. Le bouillonnement mystique qu’avait su capter le musicien Igorrr dans le premier volet se transforme en hymne pop diaphane chanté par Christophe.
«Ô Dieu je savais la douleur des batailles quand les assaillants fous se ruaient à l’assaut.» Lorsqu’il a rendu la première maquette de la chanson où Jeanne s’adresse à Dieu, Christophe a posé sa voix comme empreinte témoin. Et sa fragilité dans l’aigu résonnant avec le destin précaire de la gamine de 10 ans au milieu des combats, le cinéaste a préféré cet enregistrement à celui, normalement prévu, de «la petite». Où l’on raccroche ici à l’enchevêtrement vocal entourant le personnage de Jeanne. «C’est arrivé au cours du tournage. Dès qu’elle parle à Dieu, elle chante et on entend Christophe. Le chant de la petite passait dans Jeannette, mais pas dans Jeanne. Et puis je ne voulais pas refaire la même chose.»
L’arrivée du chanteur dans le décor achève de moderniser le traitement. «Le problème, avec les textes profonds comme ceux de Péguy, c’est qu’ils sont profonds. Il faut remettre en surface des éléments enfouis. Il ne sert à rien d’avoir peur de la complexité, c’est le propre de l’âme humaine, mais il s’agit aussi de donner des accès de compréhension, offrir au texte quelque chose d’accessible. C’est le travail de la représentation au cinéma», analyse Dumont. La musique, la présence de Christophe («qui n’a jamais été aussi bon que sur un texte comme celui de Péguy, franchement», juge le cinéaste), le jeu avec les spectateurs rendus complices par l’impossibilité de la présence d’un bunker de la Seconde Guerre mondiale dans ce champ du XVe siècle ou par la présence de comédiens non professionnels ou encore de la cathédrale d’Amiens au lieu du château de Rouen… toute cette coloration du travail de Dumont place définitivement le diptyque Jeannette-Jeanne dans un territoire représentatif hors-norme dont on perçoit que, sensiblement, il convient mieux au parcours énigmatique de Jeanne que les épopées produites à tire-larigot depuis Méliès en 1900.
A bien des égards, la trajectoire de Jeanne relève du mystère : elle est absolument surnaturelle en même temps que super naturelle, car au fond, c’est d’une jeune fille de peu qu’il s’agit, une petite Lorraine inconnue, mystique, illettrée, c’est un corps de 17 ans qui a traversé toutes ces épreuves. Et le film se construit aussi autour d’un jeu d’incohérences qui permettent une unification avec la véracité historique mais aussi avec l’esprit du mythe.
Impossible de ne pas voir non plus la thématique de la femme méprisée dans un monde masculin, de la jeune voix qui peine à s’imposer au milieu des puissants, la Greta Thunberg en armure au chevet d’une nature maltraitée. Et, comme un retour aux disproportions gothiques, on a rarement expérimenté un tel fossé entre l’aréopage de théologiens et l’héroïne ordinaire. Les premiers, prisonniers de leurs phrases parfaites et de leur questionnement à la rémanence chère au style de Péguy, ne parviennent pas à percer le mystère de cette béguine à la foi instinctive. La seconde, encapuchonnée dans ses certitudes venues de l’au-delà, se bat à chaque syllabe contre ces représentants officiels du divin. Et le spectateur se tient entre les deux, dans la cathédrale d’Amiens, assis sur les sols striés du labyrinthe, au milieu d’un duel qu’il goûte de cette façon pour la première fois. Malgré une certaine torpeur, Jeanne réussit à nous faire percevoir le personnage le plus commenté et documenté de l’histoire française d’une manière inédite, et qui trouve des échos tout aussi inédits dans notre monde contemporain saturé de super-héroïsme."
"« Au commencement », pleine de candeur et d’incertitudes dans Jeannette, l’enfance de Jeanne d
"« Au commencement », pleine de candeur et d’incertitudes dans Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc, la petite bergère de Domrémy est dans Jeanne chef de guerre. Là où sa parole était d’abord un chant, livrant dans toute sa maladresse ses sentiments comme un nouveau monde, elle est ici toute intérieure, une voix obstinée, entêtante. Jeanne doit délivrer définitivement le royaume de France des Anglais et de la terreur.
Le film tout entier est alors habité par une tension entre un regard de puissance – celui de Jeanne – et la présence insistance d’une musique intérieure. Cette béance, entre le dit qui se diffracte en lignes mélodiques et roulements de tambours composés par Christophe et le visage, contient la grâce même du personnage, sa foi têtue, son humanité. Jeanne est toujours à cette innocence – prodigieuse idée d’ailleurs qu’elle soit toujours incarnée par Lise Leplat Prudhomme, âgée de dix ans – qui à la fois s’émeut, accepte de se laisser guider par son imagination et conteste les ordres.
La même innocence qui permet à Jeanne de tenir tête aux puissants et aux soldats. D’ailleurs Jeanne tient tête à l’image même: les plans frontaux de son visage et leur durée, portent tous les possibles de la turbulence. Mais de la douceur aussi car grandir c’est s’élever. Si l’armure de Jeanne semble l’accrocher à la terre, son regard s’élève aussi vers le ciel. Cette connivence, qui s’exprime par de nombreux plans sur le ciel, dit à la fois le mystère et cette dimension de l’infini.
Grandir, c’est s’élever en jetant son âme dans la lutte. Lutter contre la violence des hommes comme celle de Gilles de Rais qui appelle aux pillages, à la richesse et au viol pour tenir une armée et à qui Jeanne répond que « celui-là qui dit cela est le dernier des hommes ». Lutter contre l’injustice des juges. Jeter son âme dans la lutte parce qu’elle vient du plus profond, du cœur de Jeanne. Le film alors se construit sur cette expérience du mystère qu’est la grâce de Jeanne, et l’ellipse est le creuset de ce mystère. Ce ne sont pas les batailles qui comptent mais les sentiments qu’elles font lever dans l’intériorité du personnage. Les trous dans la narration, ce qui reste hors champ sont autant d’interstices par lesquels le mystère peut entrer. Et la scène de bataille que Dumont filme comme une chorégraphie de chevaux, moins à hauteur d’hommes que du haut du ciel, rythmée par les tambours et une mélodie déchirante, en est le retentissement visuel et sonore.
La grâce de Jeanne est d’affirmer coûte que coûte son esprit d’enfance. La spiritualité de Jeanne s’exprime dans sa profondeur à travers aussi la maladresse et l’ hésitation de son incarnation. Jeanne veut se faire entendre plus qu’apporter des preuves ou signifier. Le silence « creuse » le fossé entre elle et les juges au cours de son procès dans la cathédrale d’Amiens (décor se substituant au château de Rouen). La parole le montre. Le montage sépare irrémédiablement en des champs-contrechamps tranchants la parole intellectualisée des juges, délirante par la manière dont elle s’incarne et où le tragique affleure dans le comique, de celle obstinée de Jeanne. Le dire et le sentir sont alors incommensurables. Au-delà de ses partis pris formels d’intensité, la singularité du film se tient là : l’intransigeance est du côté de l’enfance, pas du côté des juges. Elle est une résistance profondément humaine, une désobéissance au dogme et à l’orthodoxie qui sont autant de compromissions cachées derrière la règle. Aussi Bruno Dumont rend au sacré son vrai lieu: il est dans le cœur de Jeanne plus qu’au cœur de l’Eglise. Ce sacré, c’est la puissance du visage de Jeanne, où « tout est contenu en lui, tout ce qui est nécessaire à l’amour (…) son mystère resplendit avec clarté comme son regard ».
Jeanne est brûlée sur le bûcher, loin dans le cadre, le temps d’un battement de paupière mais c’est son regard qui insiste et résiste. Ce regard lumineux, obstiné qui agit comme un silence, révélant le sacré contenu en germe dans les aspects profanes de la vie. De nos vies aussi.
Jeanne est alors un chemin à prendre, dans un devenir de toutes parts inconnu, où chacun peut faire sa découverte. Où chacun, comme dans tous les films de Bruno Dumont, est grandi, rendu à ce possible, celui d’une élévation."
"Le grand Bruno Dumont adapte de nouveau les textes de Charles Péguy consacrés au personnage historique de Jea
"Le grand Bruno Dumont adapte de nouveau les textes de Charles Péguy consacrés au personnage historique de Jeanne D’Arc. On est en 1429, Jeanne est emprisonnée et jugée. Après une Jeannette dansante et insouciante, ce second volet paraît plus austère et plus théâtral, mais il s’avère plus sensible et majestueux. L’expression du corps laisse la place à l’expression du verbe. Ce film n’est plus franchement une comédie, ce qu’étaient ses opus depuis la série Le P’tit Quinquin. Le cinéaste semble renouer avec la sobriété d’antan, et choisit de rendre compte des événements (une guerre, un procès, une église) uniquement par les voix, qu’elles soient un commentaire (des personnages sont comme les animateurs radiophoniques de l’action), un interrogatoire, ou un chant.
Ces joutes oratoires deviennent fascinantes et parviennent par la force de l’évocation à se substituer à l’action. Chaque parole, interprétée avec fragilité par des acteurs non professionnels, a son timbre et son phrasé singuliers. Amenant une distanciation toute brechtiennne, ce jeu vocal n’en préserve pas moins le mystère de Jeanne et notre fascination. Le pouvoir des mots se confronte à la ténacité de l’accusée qui persiste. Au sein d’un décor immense (église vertigineuse) dans lequel les individus paraissent petits, sentiment augmenté par la bonne idée de retrouver la fragile Lise Leplat Prudhomme (dont il faut saluer la performance), plus jeune que le personnage réel.
Le cinéaste questionne alors notre rapport à la spiritualité. Se mêlent le profane et le sacré, à l’image du chanteur Christophe, invité improbable du cinéma de Dumont, qui est d’abord une voix (parlée et chantée), avant d’être un visage. Son chant élégiaque incarne l’alliance du trivial et du lyrique. A nous spectateurs de nous laisser embarquer dans ce récit choral qui peut confiner au grotesque si nous refusons d’y croire."
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