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Seul dans un village alsacien depuis une rupture amoureuse six mois auparavant, un réalisateur raconte son quotidien de janvier à octobre 2016.
Seul dans un petit village alsacien depuis une rupture amoureuse six mois auparavant, Frank Beauvais raconte son quotidien de janvier à octobre 2016. Reclus, hormis lors de promenades très bénéfiques en forêt, il survit en revendant sur Internet disques, DVD et livres. Chaque jour, chaque nuit surtout, il trouve du réconfort dans le visionnage de trois, quatre ou cinq films. Le monde se rappelle à lui avec les échos de l’état d’urgence et des dérives sécuritaires, le souvenir d’un père détesté qui est venu mourir chez lui, par de courts voyage à Paris et à Lisbonne... Soutenu par l'ACID lors de sa sortie en salle.
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"Si vous n’avez jamais affirmé à voix haute que vous arrêtiez de boire en vous versant un verre de vin, ce film n’est pas pour vous. Ne croy
"Si vous n’avez jamais affirmé à voix haute que vous arrêtiez de boire en vous versant un verre de vin, ce film n’est pas pour vous. Ne croyez pas que je hurle est le récit rétrospectif d’une expérience profonde et radicale de la contradiction, quelque chose comme une dissonance cognitive peu à peu muée en larsen existentiel ou autodévoration baudelairienne et son mantra névrotique «je suis de mon cœur le vampire». On n’avait sans doute pas vu, depuis les sublimes traités d’Abel Ferrara de la connaissance par la perte de soi (The Addiction, The Blackout…) plus foudroyante vision des gouffres personnels où les choses n’ont plus vraiment de nom, le monde plus de contours. Pourtant la situation est triviale. Quittant Paris il y a sept ans pour vivre avec un amoureux (qu’il vouvoie) dans un vaste appartement à la campagne, Frank Beauvais revient dans cette Alsace où il a grandi et qu’en réalité il déteste pour un ensemble de particularismes régionaux plus ou moins arriérés faisant office de fiertés locales.
Le cinéaste (qui a signé quelques courts métrages remarqués dont Je flotterai sans envie en 2008) n’a pas le permis, peu d’amis dans le coin, pas assez d’argent mais il a du temps à revendre. Entre tâches ménagères, balade en forêt et navigation sur Internet, l’essentiel de ce loisir mi-choisi, mi-enduré consiste à binge watcher jusqu’à cinq films par jour (et par nuit car il est insomniaque). Cette «cinéfolie», comme il la qualifie lui-même, s’aggrave encore durant la période d’avril à octobre 2016, dont le film fait le récit : sept mois à ramper dans l’humeur noire d’un tunnel de dépression, après la séparation avec son compagnon, éclairé par la seule lumière vacillante de quelque 400 films, «pépites hollywoodiennes pré-code Hays, incunables du cinéma soviétique, films érotiques scandinaves, gialli, pinku, drames allemands, thrillers européens des seventies…» (1). Dehors, comme d’un lointain terrifiant, parvient l’écho d’une année de tumultes incessants où les attentats et la réduction subséquente des libertés publiques, les violences policières contre toutes les formes de protestations citoyennes, la beuglante parenthèse unanimiste du nationalisme triomphant de la Coupe du monde de foot, les noyades de migrants repoussés aux frontières s’emboutissent et déraillent ensemble dans ce qui lui apparaît comme une cohérente course folle vers l’abîme. Alors, il lui faut encore replonger dans le coma des images et dans la contradiction : il se voudrait politiquement engagé mais, craintif, déconnecté bien que suspendu à sa page Facebook, il s’emmure vivant, il voudrait le chaos dehors mais, planqué, il range sa chambre, classe disques et livres pour déstocker. Pas de grands soirs donc, seulement les petits matins, et blafards encore quand le miroir lui renvoie le reflet maussade du «quadra célibataire, aux traits bouffis, aux yeux injectés de sang» : «Je me sens trop vieux pour la révolution, dont on est de toute façon bien loin, et trop jeune pour le renoncement.»
Dès lors, que faire pour ne pas disparaître définitivement ? Tout d’abord déménager, revenir à Paris où l’attend une chambre en colocation libérée par une amie, mais surtout aggraver la dissonance précisément, jouer de la contradiction faute de pouvoir la dépasser, donc faire un film sans même sortir une caméra, en ramassant la totalité de ce qui a été vu et aimé dans un étourdissant cadavre exquis de fragments. Ne croyez pas que je hurle juxtapose la voix off de l’auteur et des centaines de plans prélevés dans ses incroyables archives personnelles où coexistent sans autre apparent principe classificatoire que sa sensibilité à vif l’Age des illusions d’István Szabó, Pulsions cannibales d’Antonio Margheriti, Diamant noir d’Arthur Harari, la Lumière bleue de Leni Riefenstahl, Benjamin ou les Mémoires d’un puceau de Michel Deville…
Parfois l’image illustre, parfois elle regarde ailleurs, elle est de toute façon muette car Beauvais en a coupé le son d’origine. Peu de visages ici, ni de situations lisibles, tout conspire et confine à un genre de message en morse, la litanie pulsatile de détails, plans fugaces - mains, fumées, horloges, village, vaisselle sale, poulet décapité… - et qui prennent une consistance nouvelle d’être ainsi disjoint de leur source et transplanté dans un corpus étrange sans autre suture intercalaire que la mélancolie d’un homme abandonné.
Car les images, indifférentes à l’imaginaire qui leur a permis de survenir, paraissent moins poreuses à la douleur, aux doutes que celui qui les ventriloque si bien qu’elles paraissent par contacts, de proche en proche, aller plus vite que la main qui les assemble. C’est aussi ce qu’il y a de très beau dans le film, cette manière de bilan à mi-chemin d’une vie (Beauvais à 45 ans) sans renoncer aux illusions d’optique et points de vue imprenables quoique faussés sur ce qui a déjà eu lieu ou s’est aboli à bas bruit dans le revers des simulacres, cette manière de se saluer soi-même depuis l’autre rive et de hurler dans une langue que plus personne ne peut comprendre. Il n’y a en vérité pas moyen de dire pause ni de résorber le foutoir. Il faut simplement le déplacer, lui donner forme nouvelle. Tout le monde sait ça, mais encore faut-il en être capable. Quitte ici à refiler le bébé de la «cinéfolie» à d’autres par la fascination que le film provoque. Aujourd’hui, Frank Beauvais va mieux et chacun pourra mesurer à sa toise implacable s’il peut en dire autant."
"Ne croyez surtout pas que je hurle est un journal filmé qui se présente sous la forme d’un vertigineux mashup où des extraits de films dial
"Ne croyez surtout pas que je hurle est un journal filmé qui se présente sous la forme d’un vertigineux mashup où des extraits de films dialoguent avec un texte en voix-off. À la suite d’une rupture amoureuse, le réalisateur se retrouve seul dans un village reculé d’Alsace, où le fait de ne pas posséder de permis de conduire renforce d’autant plus son isolement. En proie à une dépression, il passe alors plusieurs mois à regarder des centaines de films de manière compulsive. La signification de ce montage a posteriori est donc au moins double : archiver un accès de folie cinéphilique et chercher, par les images, à redonner un sens à ces semaines d’errements intimes et de confrontations avec un monde extérieur perçu comme hostile.
Si la virtuosité de l’exercice impressionne dans un premier temps, le narrateur concède rapidement avoir « sombr[é] littéralement dans les films des autres », si bien que ce défilement, ce flot ininterrompu de plans glanés par le cinéaste témoigne d’une obsession quasi pathologique. Cet essai autobiographique, dans sa forme même, devient ainsi le symptôme de ce qu’il décrit. Filons la métaphore proposée par Luc Lagier dans le premier épisode de Scanners qui compare le mashup à une créature de Frankenstein aux cicatrices apparentes. Cette double image de la coupure et de la couture convient parfaitement à la technique employée par Frank Beauvais, à la fois sur le plan formel (le montage, en ne cherchant jamais à dissimuler ses raccords très secs, assume son statut de patchwork subjectif qui semble articuler une image mentale impossible à dessiner), et dans son discours, car si tous ces films sont bien la marque d’une plaie, l’œuvre qui résulte de leur réassemblage prend pour le cinéaste l’apparence paradoxale d’un bandage.
La sélection d’extraits souvent très brefs, rapiécés par Frank Beauvais, répond à deux orientations principales du texte lu en voix-off : celle de l’intimité et celle de la révolte, qui diffèrent dans leurs puissances d’évocation. Lorsqu’il fait le récit de certains épisodes de ses vies familiale, amicale ou sentimentale, le réalisateur s’épargne d’en chercher une traduction littérale, préférant retrouver, grâce à un usage métonymique de l’image, les atmosphères et sentiments éprouvés pendant toutes ces années de solitude extrême. Il en va ainsi de la séquence de la disparition de son père, comme de celle de la visite de ses amis portugais ou du passage de l’ex-compagnon venu récupérer des affaires oubliées au moment de la séparation : on jurerait avoir entendu ces voix et vu ces visages. Un trouble qui découle d’un sens aigu de la topographie où, par exemple, les plans d’un salon étouffant donnent à voir sans le montrer le décès brutal du père du narrateur. Plus loin, une fenêtre suffit à suggérer la frontière entre l’appartement du cinéaste et les festivités villageoises qui battent leur plein à l’extérieur, puis quelques tableaux en pleine nature accompagnent de brefs moments de joie et d’affection.
Cette approche va de pair avec une dimension politique qui œuvre par déplacements et dont l’éloquence renferme, elle aussi, une vraie puissance évocatrice. Dès le début du film, lorsque Frank Beauvais décrit la société alsacienne environnante, ses propos viennent se poser sur des plans de nourriture ou d’abattoirs aussi limpides que dérangeants. Les aliments deviennent d’ailleurs un motif récurrent pour figurer la laideur du monde contemporain. Nationalisme, chauvinisme, repli identitaire, conformisme petit-bourgeois et néolibéralisme tranquille suscitent une colère froide de la part du réalisateur qui lit son texte d’une voix imperturbable, remettant en mémoire la diction de Guy Debord dans ses propres films. Le cinéma, loin de jouer ici le rôle d’antidote, permet au contraire de vomir une certaine réalité sociale honnie en quelques plans sanglants et rageurs. L’une des réussites les plus touchantes de Ne croyez surtout pas que je hurle tient au parallèle dressé délibérément entre ce travail de collage acharné et le tri interminable auquel se livre Beauvais dans son appartement, encombré entre autres de milliers de vinyles qu’il revend sur Internet pour financer son déménagement à Paris. Tout se passe comme si cette entreprise initialement décourageante figurait le processus à l’origine du film lui-même, ce délestage lent et douloureux permettant de retrouver, à l’arrivée, une légèreté essentielle à sa survie."
"Ce journal cathartique d'un cinéaste cinéphile est un tour de force. (...) Le film traverse les ténèbres et nous avec, dans une expérience
"Ce journal cathartique d'un cinéaste cinéphile est un tour de force. (...) Le film traverse les ténèbres et nous avec, dans une expérience poétique, nécessaire, pour aimer, goûter le plaisir et pouvoir agir encore."
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L'ACID est une association née en 1992 de la volonté de cinéastes de s'emparer des enjeux liés à la diffusion des films, à leurs inégalités d'exposition et d'accès aux programmateurs et spectateurs. Ils ont très tôt affirmé leur souhait d'aller échanger avec les publics et revendiqué l'inscription du cinéma indépendant dans l'action culturelle de proximité.
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