" Résumer le dernier film de Claire Denis, c'est réduire son scénario à une ligne narrative simple alors qu'il est constitué de fragments divers, foisonnants, dans lesquels, le plus souvent, importe ce qui est suggéré, non ce qui est dit.
Confrontations tendues entre les personnages ou moments fugaces d'émotion, l'accent est toujours mis sur ce qui relève du sensible (Boni et Nénette sont tous deux, quoique de façon différente, en manque d'affection, de tendresse, et se sont repliés sur eux-mêmes) et plus encore du sensuel (vue, toucher, tissus, peau, pâte à pain…). Aucune explication, aucune donnée psychologique ne vient éclairer de l'extérieur les relations entre les personnages. Les comportements (Nénette à l'hôpital), les gestes (M. Luminaire s'agenouillant), les regards (Boni face à la boulangère) sont les seuls éléments que la mise en scène met en valeur, parfois (dernière scène du film notamment) à l'aide d'un gros plan.
L'ensemble s'organise à la fois autour d'un mélange sans solution de continuité entre le réel et le rêve (fantasmes de Boni) et autour de la bande musicale qui “annonce” certaines scènes et leur donne un rythme spécifique. Bien évidemment, Nénette et Boni est à l'opposé des "films-dossiers" chers à la télévision (pour Arte, US Go home, en 1994, avec - déjà - Grégoire Colin et Alice Houri, n'avait rien d'un téléfilm classique) et pourtant les problèmes de ce temps sont bel et bien présents à l'écran. Famille, société : Nénette et Boni sont dans leurs marges. En cela, ils sont ordinaires. Une fois de plus, Claire Denis s'attache à montrer ce qu'il y a derrière une réalité d'apparence banale. Filmant Nénette et Boni avec respect, avec amour, elle révèle ce qu’ils sont au profond d'eux mêmes et quels échanges mystérieux, intimes, peuvent être les leurs. "
Jacques Chevallier
