"Une fois de plus, Alain Robbe-Grillet joue. Il tourne en dérision les formes traditionnelles du récit cinématographique, bouscule les habitudes de perception et jongle avec les signes. Il s'amuse à détruire la sacro-sainte illusion réaliste, le parti pris d'objectivité qui impose la seule perspective qu'un narrateur privilégie pour chacun des spectateurs. (...)
Alain Robbe-Grillet affirme que le film se doit de traduire un monde qui n'existe qu'à l'intérieur de chacun de nous. D'où cette impression de défilé d'images mentales qui valorisent certaines perceptions, les maquillent par le mensonge, les ressucitent par la mémoire ou les modifient par le désir ou l'anticipation.
Le Jeu avec le feu est donc l'itinéraire d'un esprit qui imagine, à partir d'une réalité brute qui sert à alimenter cette transfiguration. Mais avec la distance qu'apporte le parti-pris de jeu. Et le film ne fait donc que prolonger les tentatives de ses oeuvres précédentes (Trans Europ express, L'Homme qui ment, L’Éden et après, et surtout Glissements progressifs du plaisir (...)).
Et, alors que toutes les pistes sont embrouillées, que les mêmes signifiants ont changé plusieurs fois de signifiés, que les fils de l'intrigue se sont retrouvés en plusieurs combinaisons, un plan final de quelques secondes restructure et fige brusquement cette histoire mouvante en train de se faire. La compréhension ne passe plus par le parcours jalonné d'un récit linéaire, genre miroir (ou caméra) promené le long d'une route,, Elle est globale et instantanée. Elle ravit ceux qui ont accepté de jouer avec Alain Robbe-Grillet, et qui saluent en lui l'un des rares novateurs d'un cinéma français malade d'illusion réaliste, cet atout aliénant de la culture bourgeoise."
Raymond Lefèvre, mars 1975
