Serge Le Péron : Wiseman, le documentaire comme technique de guerre ?
Le critique de cinéma Serge Le Péron établit un lien entre la mise en scène de Frederick Wiseman et les tactiques1
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Durant la Guerre Froide, l'OTAN organise annuellement des manœuvres en Europe de l'Ouest afin de se préparer à une guerre éventuelle contre l'Est.
"Manœuvre" suit le tank d’une compagnie d’infanterie lors des manœuvres annuelles de l’OTAN en Europe de l’Ouest. Ces jeux de guerre visent à tester la rapidité et l'efficacité des renforts américains en cas de guerre. Wiseman filme les différentes étapes des exercices, incluant tactiques défensives et offensives, et des hypothétiques victoires et défaites sur terre comme dans les airs.
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" Encore la guerre, encore la paix. Encore une situation limite où l’une et l’autre se confondent dans un dispositif de simulation absolue.
" Encore la guerre, encore la paix. Encore une situation limite où l’une et l’autre se confondent dans un dispositif de simulation absolue. L’armée américaine stationnée en Allemagne Fédérale est en manoeuvres : le territoire (l’Allemagne), les soldats (américains), la situation (la guerre jouée), créent d’emblée une masse de départs fictionnels toujours filmés avec humour par Wiseman (un humour grinçant : celui des Marx Brothers, la seule référence cinéphilique qu’il consente à citer).
Exemple : un char rempli de soldats US semble perdu dans un bois au détour d’une petite route ; on dirait qu’il va demander son chemin (on dirait aussi qu’il s’agit d’un jeu télévisé). Un paysan allemand passe justement par là : lui qui connait la région, il leur déconseille avec décontraction de suivre la route qu’ils allaient prendre. Tout à l’abstraction fictionnelle qu’ils sont en train de réaliser, les soldats ne savent que faire de ce bout de réalité qui leur tombe soudain dessus. Et ce paysan, symbole de toutes les populations au nom de qui on fait toutes les guerres, semble rire intérieurement de cet embarras : revanche.
À un autre moment une jeune fille brune discute avec un petit groupe de militaires : situation classique des films de guerre où les héros fatigués retrouvent un temps d’humanité auprès d’une femme du pays. Alors on parle, dans ces moments de quiétude, du temps de la paix et de la conversation porte sur la guerre (la Deuxième Guerre Mondiale) : cela devient très net quand le père de la jeune Allemande raconte à ces soldats de vingt ans médusés les bons souvenirs de sa captivité aux États-Unis en 1945.
Manoeuvre est l’inversion exacte d’un film de guerre américain type (mettons Objectif Burma de Walsh auquel il fait penser : la carte d’État-Major préalable, puis le terrain et l’action). Wiseman ne respecte rien : pas même Hollywood. Il est d’ailleurs tout à fait possible que le véritable sujet de tous ses films soit moins l’Amérique que le cinéma américain dans son ensemble. "
" Les premières images de Manoeuvre ne sont pas sans nous rappeler celles que nous avons vues dans Basic Training. Mais cette fois-ci, il ne
" Les premières images de Manoeuvre ne sont pas sans nous rappeler celles que nous avons vues dans Basic Training. Mais cette fois-ci, il ne s’agit plus d’apprentis soldats. La conscription a été supprimée, et les militaires que nous voyons dans Manoeuvre sont des professionnels…
Depuis une base de Louisiane, Wiseman suit une compagnie de blindés aéroportée qui va participer aux grandes manoeuvres d’automne de l’OTAN, en Allemagne Fédérale.
C’est l’époque où Zbigniew Brzezinsky, conseiller du Président Jimmy Carter, parle d’une " nouvelle guerre froide ". Là-bas, de l’autre côté du " rideau de fer ", il y a les troupes du Pacte de Varsovie : dix ans plus tôt, elles ont envahi la Tchécoslovaquie qui avait rêvé d’un " socialisme à visage humain "…
Les civils allemands suivent de loin les opérations. Certains, qui ont vécu la guerre de 39-45, disent qu’ils ont préféré l’occupant américain à l’occupant russe. On s’en doutait un peu…
Avec Manoeuvre, nous nous trouvons dans la position de Fabrice à Waterloo dans La Chartreuse de Parme. Nous ne voyons qu’un aspect limité de l’action générale, en suivant en direct le quotidien banal d’un petit groupe de soldats : leurs problèmes de communication et de matériel, leurs rhumes, leurs goûts musicaux, leurs prières, leurs engueulades. Guère d’idéologie dans leurs propos. On parle formation, salaires, carrière, boulot, conditions de travail. Le métier des armes est un métier comme un autre, ou presque.
" Dans une vraie guerre, il y a longtemps que vous seriez éliminés! " lance un " contrôleur " noir à un tankiste.
Le lendemain matin, soldats américains et Allemands sont au coude à coude. On étudie la carte avant de se séparer cordialement : " Happy war ! "
L’intérêt rétrospectif du film Manoeuvre dépend, pour une bonne part, de notre connaissance de l’histoire du XX ème siècle.
Ce que personne ne sait à l’époque, c’est que le Mur de Berlin et " l’empire du mal " n’ont plus qu’une dizaine d’années devant eux.
En 1978, l’Union Soviétique apparaît encore comme une puissance menaçante. C’est aussi l’époque où un certain cardinal polonais, Karol Wojtyla est élu pape à Rome. Bien entendu, rien de tout cela n’apparaît, de près ou de loin, dans le film de Wiseman.
" Le Pentagone doit être content, écrit un journaliste, les soldats américains ont beau avoir le langage le plus ordurier qui soit, ils se révèlent intelligents et travailleurs… " (TIME, 24 Mars 1980)
Les soldats de Manoeuvre sont des professionnels. Les officiers, qui sont les " cadres " de cette entreprise, ont leur jargon professionnel. Après un tir virtuel, l’un d’eux parle de " high probability of kills ". Il n’y a guère d’idéologie dans les propos. On parle formation, salaires, carrière, boulot, conditions de travail. Le métier des armes est un métier comme un autre, avec sa routine. On oeuvre dans son coin en essayant de ne pas commettre d’erreur, parfois en ne comprenant pas ce que font les autres. On est tantôt félicité, tantôt engueulé sans trop savoir pourquoi…
La logique qu’on a vu poindre dans High School et se confirmer dans les films suivants se précise ici sur le terrain : on entraînait " naguerre " des adolescents à l’obéissance inconditionnelle, vertu militaire. A présent, les soldats professionnels ont gagné le droit de jouer à une guerre " en vraie grandeur ", mais pas " pour de vrai ".
Et quoi qu’il arrive, l’armée, comme tant d’autres institutions, est à elle-même sa propre fin. "
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