Pier Paolo Pasolini : "Ce film est, de tous, celui qui tend le plus vers un cinéma de poésie..."
En 1969, le poète italien présentait son film Porcherie, où deux histoires s'entremellent dans un monde parallèle.1
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Dans deux lieux et deux époques différentes, l'histoire parallèle de deux jeunes gens aux vices particuliers...
Dans le désert, au Moyen-Age, un jeune homme affamé se convertit avec gourmandise au cannibalisme. En parallèle, dans l'Allemagne d'après-guerre, dans une luxueuse villa, un autre jeune homme vit une passion secrète pour les porcs... Dans sa seule version disponible, en VF.
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" ... L’idée de départ ? Dénoncer, une fois de plus, notre société, qui est (un, deux, trois, tous en chœur !) une société de consommation.
" ... L’idée de départ ? Dénoncer, une fois de plus, notre société, qui est (un, deux, trois, tous en chœur !) une société de consommation. L’originalité, c’est d’avoir pris consommation dans son acception la plus matérielle, la plus charnelle, la plus animale : la nourriture — la "bouffe". Je bouffe, donc je suis. Pour bien bouffer, pour bouffer davantage, je te bouffe — expression figurée mais que Pasolini prend au sens propre. Les rapports entre les êtres sont des rapports de bouffe : mangeurs et mangés. Aussi bien sur le plan politique, social, économique qu’individuel. L’appétit signifie le désir; la dégustation et la déglutition, l’amour; la voracité, l’érotisme : partout dilué, partout récupéré (par la publicité, par exemple), il perd de sa vigueur provocatrice. Pasolini le remplace par le cannibalisme.
Mais Pasolini a beau nous montrer, détails réalistes à l’appui, le cadavre pour le méchoui et la cuisine et le repas. Cette anthropophagie reste métaphorique. Pure image. D’autant plus métaphorique que les scènes de pique-nique à chair humaine, bien faibles en comparaison du festin que présente Shakespeare dans Titus Andronicus (entre autres scènes du même genre), s’insèrent dans la partie du film où Pasolini, égal à lui-même, et c’est alors d’une grande beauté, recourt à ce réalisme poétique qui lui est personnel et qui mélange le prosaïsme (faussement) historique et la parabole.
Dans Œdipe roi, le volet historico-poétique, la tragédie d’Œdipe, était encadré par deux volets modernes où Freud et Marx, en résonance avec le mythe grec, avaient loisir de pointer le bout de leur nez. Dans Porcherie, Pasolini conserve cette communication entre un passé plus ou moins mythique et l’actualité du monde présent. Mais passé et présent, histoire (ou légende) et actualité, Pasolini, loin d’encadrer ceci par cela, les développe parallèlement. Le montage les enlace, nous balance à tout moment de ceci à cela. Au vrai, ce sont deux films, et très différents, mais qui ne cessent pas de se faire écho.
Film A. Le plus pasolinien selon moi et que je préfère. Le désert d’Œdipe roi et de Théorème. Pour être géographiquement et poétiquement exact (puisque la géographie devient ici symbolique) : les pentes de l’Etna. Elles ont le mérite d’unir la montagne, et ses escarpements et ses neiges lointaines et ses brumes, à la sécheresse pulvérulente et noire de la lave et au feu souterrain dont les trous, béant dans la caillasse comme des cratères de lune, vomissent flammes infernales et vapeurs nocturnes. Le décor rêvé. Bon.
Dans ce désert chargé de signification, un adolescent solitaire (excellent Pierre Clementi), abandonné au dénuement total, donc à la faim, dévore n’importe quoi, insecte, serpent et, oui, de la chair humaine puisque cette viande-là se présente sous la forme d’un homme. Pareil repas, on le comprend sans peine, représente la rébellion la plus outrée, la protestation la plus folle, le défi superlatif — bref, la contestation radicale. Autour de l’anachorète anthropophage se groupent d’autres affamés qui attaquent, tuent, dévorent les voyageurs.
Jusqu’au jour où la ville réagit par la chasse, la capture et le châtiment — la répression. Laquelle ne manque pas d’une sombre ironie, et témoigne d’une belle cohérence dans le maniement du symbole. Ils ont vécu pour la bouffe, ils périront par la bouffe. Ils ont été loups ? Des loups dévorant se les disputent entre eux. Clementi finit martyr et saint. Cette histoire-parabole se passe dans un XVIème siècle assez flou et vaguement italien.
Film B. En écho et en contraste avec cette petite épopée des hors-la-loi de la faim, de leur martyre, c’est l’hymne à la bouffe moderne. Le péan des grosses bedaines. Pasolini n’y va pas par quatre chemins. La musique du générique nous adresse un petit signe d’intelligence : c’est le "Horst Wessel Lied" à la guitare. Les bouffeurs, les nantis, les gavés, ce sont les citoyens de la prospère Allemagne fédérale qui semblent les champions européens toutes catégories de l’expansion ; économique et du néocapitalisme. De cette Allemagne qui a miraculeusement oublié tout du nazisme et des camps de concentration. De cette Allemagne qui s’est refait une bonne conscience comme on se fait refaire un visage neuf et beau chez un chirurgien esthétique — mais qui demeure en profondeur aussi barbare, aussi sauvage, aussi cannibale que les malheureux anthropophages du désert volcanique. Et aussi omnivores, comme tout le monde sait que sont les cochons. Le Mark lourd, quelle mâchoire au service de quel appétit ! Pour conquérir l’Europe, pour la bouffer, les panzers ont cédé la place aux produits de consommation. Ce sont les Allemands de l’Ouest les parfaits porcs métaphoriques, et l’Allemagne de l’Ouest la porcherie modèle. Et toc.
Chez ces porcs, un goret (Jean-Pierre Léaud). Velléitaire, rebelle sans l’être, désobéissant sans désobéir, fils de grosse famille et déjà encochonné. Sa copine (Anne Wiazemski) essaie de le secouer. Mais cochon pour cochon, il préfère les vrais aux métaphoriques; eux au moins ont l’innocence de l’animal. Cette passion l’expose au scandale; différent des autres, "anormal", il est lui aussi hors la loi. Jusqu’au jour où, victime de sa passion "monstrueuse", il se fait dévorer par les vrais cochons, comme un petit Chinois — un de ceux d’avant Mao, bien sûr, et pour le rachat desquels on me demandait jadis d’accumuler en boule le papier d’argent de mes tablettes de chocolat. Je ne sais pas si Pasolini a pensé au petit Chinois, mais son film — cette partie-là du moins — ne se veut-elle pas humoristique ?
Car cette suite allemande entend être satirique. Le père du goret, par exemple, gros industriel de Bonn, a la tête, mèche et moustache, d’un Hitler dodu. Pasolini s’essaie dans la distanciation brechtienne : farce, acteurs jouant exprès faux, parti pris de déformation qui rappelle la déformation dont Godard affecte le réel pour le rendre signifiant, éducatif. La guignolade s’installe, volontairement raide, appuyée, pesante — est-ce cela que Pasolini entend par humour allemand ? Tout est mis en œuvre pour servir le texte. Contrairement au film A, presque muet, où ce sont les images qui parlent, le texte, dans le film B, prend toute l’importance. Trop d’importance. Ça bavarde — même si le bavardage (la version originale française m’a paru très bien écrite) est souvent beau. Pasolini se rappelle qu’il est écrivain. L’écrivain joue un mauvais tour au cinéaste.
Le lien entre A et B est assuré par la signification de l'allégorie : le jeune homme A est dévoré pour avoir désobéi, le jeune homme B l’est pour avoir, sans désobéir exactemen été "anormal"; dévorés, c’est-à-dire non pas anéantis, mal digérés, consommés, récupérés. Reste, dans le désert comme dans la somptueuse villa allemande "à l’italienne", le témoin. Le petit prolo — sentinelle de la ville et page dans la série A; aide-jardinier dans la série B : serviteur des affameurs dévorants dans A et B. Il assiste aux derniers moments du martyr déchiré par les loups et aux derniers moments du fils à papa boulotté par les porcs. C’est par son regard écarquillé d’horreur et de pitié que s’affirme la continuité de l’histoire. Que va-t-on retenir de ce film déconcertant et inégal, souvent fascinant, parfois ennuyeux à périr ? Le cri noir lancé contre les cochons métaphoriques, la protestation d’une "anarchie apocalyptique", selon l’expression même de Pasolini ? Non. Mais une charge sans nuance contre l’Allemagne de Bonn. Tous les poncifs de l’antigermanisme primaire sont là : bière, delikatessen et grande musique (...) c’est cet étroit point de vue-là qui va, je le crains, l’emporter..."
"La Porcherie va encore plus loin que Théorème, malgré un dépouillement formel et une rigueur de construction dont les symboles peuvent offr
"Les allégories de La Porcherie prennent la suite de celles de Théorème. Elles jouent le même rôle que le recours aux mythes antiques dans Œ
"Les allégories de La Porcherie prennent la suite de celles de Théorème. Elles jouent le même rôle que le recours aux mythes antiques dans Œdipe roi ou dans le dernier film de Pasolini, interprété par la Callas Médée. C’est dire que la poésie de Pasolini est à sa manière didactique : il habille ses idées pour en faire des personnages. C’est là sans doute la limite où il s'enferme. Film après film, il crée un monde de symboles qui lui sont propres, comme le faisait Cocteau, mais sans cette aisance désinvolte qui laisse libre l'imagination du spectateur.
Le spectateur est lié, dans Porcherie, par le fil d'un discours qu’il faut traduire. On peut rester réfractaire à cette conception de la poésie, on peut aussi ne pas admettre l'« anarchie apocalyptique » qui inspire à Pasolini sa vision du monde. Mais dans tous ses films on entend vibrer la voix d’un écorché.
Comment rester sourd à ce cri et négliger l’œuvre d’un auteur qui, de films en films, s’affirme plus personnel, même s’il s’enfonce dans une voie de plus en plus désertique ?"
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