" En se plaçant à hauteur de regard et de voix (off), juste avant la bascule dans “l’âge ingrat”, le troisième long métrage de Sylvie Verheyde, justement fêté au dernier Festival de Venise, se situe à la lisière de la chronique sur l’enfance, du film de mœurs et du pur objet nostalgique. Il puise à la source de chaque genre, et trouve le bon dosage, à l’origine d’une belle cohésion formelle : alternance des séquences structurées de l’école, et d’un mouvement consubstantiel au regard de l’héroïne.
Jamais figées, les figures du réel ont cette espèce d’éclat fuyant, ce tourbillon précis, identifié, conforme au regard sélectif d’une conscience encore enfantine. La caméra épouse ce qu’elle devine et projette du rythme intime de Stella. Le mouvement émane aussi des sujets filmés, dans la veine d’un naturalisme heureux à la Renoir : dans le rendu d’une atmosphère de café, Sylvie Verheyde s’éclate (elle a grandi dans ce milieu, Stella c’est évidemment elle), les acteurs aussi. Benjamin Biolay en papa accro au pastis, Karole Rocher en femme à poigne brisée, et Johan Libéreau, barman à la présence apaisante, tous sont simplement géniaux. Ils recomposent, avec la faune du café – épicuriens éclopés, abîmés, avinés –, un improbable cercle familial autour de l’héroïne.
Car Stella, bien que chevillé à l’enfance, est également un merveilleux film de bande, de l’être-ensemble, passant par une circulation de la tendresse, de la violence – un élan collectif.
A ce stade, le film se laisse volontiers déborder par son double fond nostalgique, hommage à une époque. On aime le marcel blanc de Biolay, et ce bracelet en mailles argentées orné de son prénom, qui fit fureur jusqu’à la fin des années 80. On aime encore plus le défilé de tubes (Où sont les femmes ? de Patrick Juvet, Couleur menthe à l’eau d’Eddy Mitchell), qui s’emparent des scènes sans prévenir, parenthèses savoureuses au premier plan desquelles Stella va opérer sa mue. Un très beau film."
Emily Barnett