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Louis Malle filme une répétition d'"Oncle Vania" de Tchekhov. Une oeuvre de maturité sur la création, la mort et le temps qui passe. Son chef-d'oeuvre ?
Des gens qui marchent dans la rue, quelques notes de jazz, une gigantesque salle désaffectée à New York, des retrouvailles... On ne s'est aperçu de rien, mais, devant nous, la vie s'est mêlée au théâtre. Louis Malle a filmé la dernière répétition "d'Oncle Vania" de Tchekhov, mis en scène par André Gregory et adapté par David Mamet. Une oeuvre de maturité sur la création, la mort et le temps qui passe. Son chef-d'oeuvre ?
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" A entendre les notes de jazz qui ouvrent cette espèce d'ovni qu'est le nouveau film de Louis Malle, on éprouve
" A entendre les notes de jazz qui ouvrent cette espèce d'ovni qu'est le nouveau film de Louis Malle, on éprouve un plaisir très particulier : une jubilation mêlée d'angoisse. Ou, plus précisément, une jubilation à sentir nos angoisses, trop longtemps contenues, s'évader au grand jour. Ce qui est le sentiment exact que l'on éprouve, au théâtre, devant l'Oncle Vania. Il n'empêche ! Du jazz sur Tchekhov, une répétition et non une représentation, et un Vania rageur, qui ressemble étrangement à Donald : de quoi déconcerter certains. Et pourtant... et pourtant ce Vanya 42e Rue est l'une des plus belles mises en scène d'Oncle Vania. L'une des plus justes. L'une des plus « tchékhoviennes ».
Nous sommes donc à Manhattan, dans la 42e Rue, en début d'après-midi. Où vont-ils, ces gens qui se hâtent, se croisent ou se dépassent ? Et, surtout, que cachent-ils derrière le masque de leurs visages ? Peu à peu, nous remarquons celui-ci, celle-là. Tiens, ils se reconnaissent ! Un vieux monsieur, très grand, rattrape deux jeunes femmes. « Ça va ? Je suis angoissée », avoue l'une avec un beau sourire. Bientôt, ils sont une dizaine à rejoindre un petit homme chauve, au nez retroussé, qui semblait les attendre. Et tous entrent dans un immense théâtre, délabré et superbe. C'est le New Amsterdam Theatre, abandonné depuis quarante ans, là où se donnaient, jadis, les Ziegfield Follies.
Le vieux monsieur très grand, c'est le metteur en scène, André Gregory. Celui de My dinner with André (de Louis Malle), où son partenaire n'était autre que le petit homme chauve, au nez retroussé : le comédien Wallace Shawn. Tout le monde s'installe dans une sorte de foyer où s'entassent des bancs et une grande table. Les comédiens parlent entre eux. Wallace Shawn se plaint de n'avoir pas dormi la veille et s'allonge sur un banc. Une vieille dame s'est mise à tricoter. Elle bavarde avec un bel homme à l'oeil triste, d'une quarantaine d'années : « Depuis combien de temps se connaît-on ?... Onze ans... Est-ce que j'ai beaucoup changé ? » Et, soudain, on comprend que la pièce est déjà commencée. On est entré dedans sans s'en apercevoir. Sans rupture. Sans à-coup. Comme si, tout simplement, la vie continuait. Alors, nous voilà entraînés dans un étrange voyage intérieur. D'autant plus aisément qu'il n'y a ni rampe, ni décors, ni costumes ; rien qui puisse créer une distance et nous éloigner de ces autres nous-mêmes qui savent si bien exprimer ce que nous ne savons que taire. Mais, direz-vous, c'est le contraire : cette vieille dame si américaine, avec ses cheveux teints, ses bagues et ses boucles d'oreille, n'a rien de la vieille Nounou russe ! Eh bien, si. Et c'est en cela que ce spectacle qui n'en est plus un est si étonnamment fidèle à Tchekhov : ce n'est plus la vieille Américaine emperlouzée que l'on voit, mais son coeur, mais son âme. Elle est bien Nounou, toute de tendresse, celle qui berce sur ses genoux la tête de Sonia en l'appelant « ma petite orpheline ». Et Vania, ce petit homme chauve, au nez retroussé et à la voix de canard, c'est vous, c'est moi. A Moscou, à New York, à Paris. Hier et aujourd'hui. Tchekhov universel. Tchekhov intemporel. Tchekhov, qui, de pièce en pièce, n'a rien fait d'autre mais ce rien est tout que rendre visible l'invisible, mettre au jour notre mal être, exprimer notre angoisse devant la vie qui passe, qui coule et toujours se répète.
Et puisque les pièces de Tchekhov ne parlent que de cette éternelle répétition de nos marques, de nos lâchetés, de notre incapacité à réaliser nos rêves, puisqu'elles sont si tragiquement quotidiennes, ce n'est pas si bête de filmer une répétition. D'autant que Louis Malle a eu l'intelligence de choisir un filage. Un filage, en jargon de théâtre, c'est la dernière répétition. Celle où le metteur en scène n'intervient plus et laisse « filer » la pièce jusqu'au bout. Et ça file. Ça file comme le temps. Ça file comme la vie. A peine un mot d'André Gregory à deux invités : « L'acte II a lieu quinze jours après ! » Ou bien, après le II : « OK, faisons une petite pause », et l'on entend à nouveau quelques mesures du jazz déchirant du début. Tous, tous nous sont si proches ! Vania, bien sûr, le pauvre Vania, qui a sacrifié sa vie à une baudruche. Et qui, aujourd'hui, ne peut que « pleurer le passé, jalouser le succès des autres et craindre la mort ». Mais aussi Sonia, sa nièce, qui avoue à la belle Elena ce qui la ronge et qu'elle n'a sans doute jamais osé dire à haute voix : « Je suis laide. » Et la Gaufre, ruiné, qui s'incruste dans la famille à qui il a dû vendre sa propriété ! Lui aussi va oser le prononcer, le mot qui le brûle, ce mot dont il s'est entendu traiter chez l'épicier : « Parasite. »
C'est cela, Tchekhov, quand il est bien joué : la mise à nu de ces plaies, que l'on cache et qui se rouvrent sans cesse. Et il est joué magnifiquement. Grâce à la direction d'acteurs d'André Gregory, bien sûr. Et à la distribution qu'il a choisie. Julianne Moore, dans le rôle d'Elena, est étonnante. Trop souvent réduite à n'être qu'un oiseau menteur, la belle Elena, ici, est émouvante, parce que sincère. Son vieux professeur de mari, mais oui, elle l'a aimé, et ce n'est que plus terrible pour elle d'en avoir découvert la médiocrité. Sa coquetterie est inconsciente et son rire résonne comme des sanglots.
Mais notre bonheur n'est pas seulement dû à André Gregory. Il y a Louis Malle, dont ce Vanya est, de loin, le plus beau film. Son travail est humble : il consiste à être là, juste où il faut, quand il faut. La caméra cadre exactement ce que nous aurions désiré voir si on nous avait laissé le temps de le désirer. Et avec tant de discrétion que nous ne le remarquons même pas. C'est un travail merveilleux : ouaté, huilé. Invisible. Invisible, c'est le plus beau compliment qu'on puisse faire à un metteur en scène. Il lui faut, pour cela, aimer si fort et ressentir si profondément ce qu'il filme qu'il s'en oublie lui-même.
Et l'on est bouleversé, après trop de films rancis (Milou en mai) ou académiques (Au revoir, les enfants), de retrouver le Louis Malle du Feu follet. Celui qui parlait si bien du désespoir et de la mort. La mort, elle est omniprésente. A commencer par ce théâtre en ruine. Et la « petite musique » de la fin, ce monologue qui résonne comme une mélopée, cette longue incantation de Sonia, qui tente d'apaiser la souffrance de son oncle et la sienne , ce chant d'espoir en un bonheur après la mort, a des accents désespérés. Mais qu'elle est belle, la voix de Sonia ! Comme elle chante doucement, la langue américaine ! Cette tirade, qui, en russe, est si musicale que Rachmaninov a tenté d'en percer le secret, n'a perdu, ici, ni son rythme ni ses inflexions. Et l'on comprend, devant ce Vanya 42e Rue, ce que doit à Tchekhov la musique des dialogues de Woody Allen. Ceux de September ou de la fin de Radio Days, quand, sur la terrasse, notre ami au nez retroussé, Wallace Shawn en personne, s'interroge : « Les générations futures entendront-elles parler de nous ? Il y a peu de chance ! Au bout d'un certain temps, tout passe... » La réussite de Louis Malle ne devrait pas nous surprendre : Woody Allen avait déjà prouvé que Tchekhov pouvait être américain."
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