La Guinée Bissau, l’un des pays les plus pauvres du monde, acquiert son indépendance en 1974, après plus de dix années de lutte armée contre les forces coloniales portugaises. Depuis, ce petit pays d’un million et demi d’habitants, connaît une vie politique très mouvementée (...) Pourtant, quelques cinéastes ont réussi à y tourner des films souvent remarqués dans les festivals étrangers ; parmi eux, Sana Na N’Hada et Flora Gomes. Ils créeront d’ailleurs ensemble une coopérative de production, Arcos Iris.
Peu de temps après l’indépendance, de retour dans son pays natal, il intègre le Ministère de l’information comme cameraman et journaliste. À la même époque, Chris Marker séjourne à Bissau pour former des apprentis cinéastes ; Flora Gomes fait partie du groupe : « J’ai eu la chance de suivre un stage avec Chris Marker, avec qui je suis devenu très ami. J’ai étudié le montage avec Chris et le cadre avec Anita Fernandez, avec qui j’ai fait un film, Le Balcon. Nous n’avions que deux caméras et un seul banc de montage, mais ce fut une expérience enrichissante à la suite de laquelle j’ai décidé de continuer à réaliser des films. », raconte-t-il, dans Le Film africain. Tout en continuant à travailler pour les actualités télévisées, il co-réalise avec Sana Na N’Hada (réalisateur de Xime en 1994) deux courts métrages : un documentaire, Le Retour de Cabral (1976) et une fiction, Anos no Oça Luta (1978).
Un peu plus tard, Flora Gomes abandonne les reportages pour se consacrer à l’écriture du scénario et la recherche de financements pour Mortu Nega, qu’il réalise en 1988. Ce long métrage, le deuxième de la Guinée Bissau, après N’Turuddu d’Urbam U’Kset, sera remarqué à Venise (deux mentions) et primé au Fespaco et à Carthage. En l’absence de salles de cinéma dans le pays, le film doit attendre son passage à la télévision pour rencontrer son propre public. L’accueil est enthousiaste (...) Il s’attache aussi, avec finesse et simplicité, à dresser le portrait de femmes qui se sont impliquées à tous les niveaux durant cette période mouvementée. L’une d’entre elles, Diminga, est interprétée par une danseuse du Ballet National de Guinée Bissau, Bia Gomes. Nous la suivons dans la savane, elle marche avec obstination, durant des journées, presque clandestinement, en suivant les combattants pour rejoindre Sako, son mari, qui est sur le front. Durant, la seconde moitié du film, les premières années de l’indépendance, Diminga se montre forte et généreuse face à la fatalité qui s’abat sur le village : la sécheresse. Pour le réalisateur, le rôle de la femme a été essentiel dans la lutte de libération (...)
Bissau, la capitale en pleine mutation, constitue le personnage principal des Yeux bleus de Yonta, (1992), sélectionné à Cannes (Un certain regard) et primé à Carthage ainsi qu’au Fespaco. Dans ce regard sur une communauté urbaine, Flora Gomes montre une Afrique qui peut rire et garder espoir afin de s’opposer à l’image, trop souvent montrée en Europe, d’une Afrique qui pleure et souffre (...) Depuis l’indépendance, les mentalités ont évolué. Les générations qui ont connu la guerre d’indépendance croient encore au grand rêve du développement solidaire ; il n’aura pas lieu. Mais les discours ne signifient rien pour ceux qui n’ont jamais vu les Portugais. Les jeunes de ce pays aspirent à des actions concrètes comme celle de Vicente qui essaie d’agrandir son usine afin de créer plus d’emplois.
Pour pallier l’absence de comédiens dans son pays, Flora Gomes a pris le temps de rechercher ses interprètes dans des écoles, des lycées, parmi ses amis, auprès d’associations de femmes et dans des quartiers populaires (...) En 1996, sort le long métrage Po di Sangui (L’Arbre aux âmes), le premier film d’Afrique à aborder les questions de la protection de l’environnement. Le propos est audacieux dans un continent où une importante partie de la population cherche, avant tout, à assurer sa survie quotidienne (...)
1998, quatre ans après les premières élections multipartites, les militaires se soulèvent et font sombrer le pays dans la guerre civile. Après une année de combats, la Guinée Bissau est dévastée, son économie est exsangue. Flora Gomes voit s’éloigner les chances de filmer une comédie musicale dans sa ville natale. Finalement, en 2002, l’équipe de tournage de Nha Fala investit la ville de Mindelo située sur l’île de Santiago au Cap Vert. Un symbole, puisque c’est là que s’est développé l’un des styles musicaux les plus importants de l’Afrique lusophone, la Morna ; Cesaria Evora en est l’ambassadrice la plus connue (...)
Nha Fala qui signifie, « ma voix » (ou « ma voie »), « mon destin », « ma vie », cherche avant tout à montrer la vitalité du continent africain, qui souvent s’exprime par la musique. Cette comédie musicale, dont le rôle principal est interprété par la comédienne franco-sénégalaise Fatou N’Diaye, repose sur une étroite collaboration entre le cinéaste et le saxophoniste camerounais Manu Dibango ; ils partagent les mêmes idées sur l’avenir du continent africain (...) Même si le ton est léger, parfois surréaliste, nombreuses sont les références à des sujets sociaux tels les spéculations et gains faciles des nouveaux riches, la découverte de l’autre, la confrontation à la différence et le chômage, comme le montrent les paroles d’une des chansons du film : « Ici personne n’a sa place, le médecin doit faire le taxi, le professeur d’université cire les chaussures. » Avec beaucoup d’humour, Flora Gomes, fait remarquer que les générations les plus jeunes semblent avoir occulté de leur mémoire Amilcar Cabral, le père de l’indépendance de la Guinée Bissau. Deux vagabonds trimballent sur une brouette, à travers la ville, le buste du héros national ; ils ne savent qu’en faire. Même, si le dirigeant indépendantiste était un véritable géant qui a tout donné pour que son pays soit libéré du joug portugais, il a tendance à disparaître de la mémoire d’un peuple qui ne veut plus s’encombrer des fantômes du passé (...)
Raconter, expliquer la guerre d’indépendance de la Guinée Bissau, constitue une thématique récurrente dans l’œuvre de Flora Gomes. En 2008, il co-réalise avec la journaliste portugaise Diana Adringa, Duas Faces da Guerra (Les Deux visages de la guerre). Ce long métrage documentaire à quatre mains tente d’expliquer, d’une façon différente des livres d’histoire des deux pays (la Guinée Bissau et le Portugal), ce que fut la lutte de libération nationale pour les uns et la guerre d’Afrique pour les autres. Un conflit qui, entre 1963 et 1974, opposa les forces du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap vert (PAIGC), dirigées par Amilcar Cabral, à l’armée portugaise. Profondément attaché à la mémoire du dirigeant du PAIGC, assassiné peu de temps avant l’indépendance, Flora Gomes cherche depuis longtemps à lui consacrer un film.
Flora Gomes vit et travaille toujours en Guinée Bissau (il y est même resté durant la guerre civile de 1998), malgré les difficultés matérielles et l’instabilité politique de son pays, il est devenu l’un des réalisateurs majeurs de l’Afrique lusophone et l’une des signatures les plus originales du continent (...) Point de héros, point d’individus moteurs de l’histoire, mais des personnages qui parlent en tant que membres d’une communauté (urbaine ou rurale). Rien d’étonnant à cela, Flora Gomes met en scène une Afrique qui réaffirme son identité propre, qui tente de se reconstruire et veut avant tout échapper aux traumatismes de la colonisation passée. La force de l’œuvre de Flora Gomes réside dans sa clairvoyance. A petites touches, avec la discrétion dont cet homme fait preuve en toutes choses, il évoque et dénonce le terrible héritage colonial mais il sait aller plus loin que le seul discours militant. Flora Gomes, est un visionnaire, un cinéaste qui sait ne pas occulter les drames actuels de l’Afrique et relevant de la responsabilité des Africains eux-mêmes.
Yves Jézéquel
Cette biographie a paru, dans son intégralité, dans le catalogue du Festival d'Amiens, en novembre 2009, à l'occasion d'un hommage rendu au réalisateur.