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Quentin TARANTINO : Notre top 10
Quentin Tarantino est le cinéaste du post-moderne, cinéphage revendiqué. Ancien employé de vidéoclub dans les années 1980, il est aujourd’hui un maître adulé à la filmographie cultissime qui aborde tous les genres, toutes les époques, tous les courants du septième Art.
Partisan d’une œuvre plus qualitative que quantitative, le réalisateur n’a cessé de transcender presse et public au cours des vingt-cinq dernières années par ses scénarios souvent déconstruits au cynisme décapant, et la déflagration Pulp Fiction au festival de Cannes 1994, avec cette fameuse Palme remise comme un passage de témoin par Clint Eastwood.
Adepte des thrillers et polars détournés façon western ou film de combat, Tarantino propose sa vision d’un monde « dégueulasse et sordide » où la violence sans filtres frappe de plein fouet. Avec un goût prononcé pour le remaniement de la temporalité classique, le cinéaste régale de répliques truculentes, posant une frontière poreuse entre effroi et rire nerveux.
Bien connu pour sa vulgarité très personnelle et qui se complait dans une feinte vacuité, le réalisateur n’hésite pas à rendre un tantinet ridicule des personnages pourtant hautement charismatiques, sur lesquels il s’abstient de poser un jugement. On reconnaît à coup sûr son habileté à valoriser les performances de ses acteurs fétiches : Uma Thurman, Samuel L. Jackson, Christoph Waltz, Kurt Russell, Michael Madsen et bien d’autres.
A coup de bains d’hémoglobine et de situations cocasses, Tarantino impose son univers, peuplé d’allusions «internes» et d’hommages à ses prédécesseurs. Sur un principe de « prévisible imprévisibilité » à l’esthétique travaillée et à la force dramaturgique désarmante, Tarantino ne fait ni dans le réalisme ni véritablement dans la résolution, et c’est (finalement) ça qu’on aime !
En écho à la récente sortie en salle de Once Upon A Time … In Hollywood ce mercredi 14 août, voici donc un petit classement de ses œuvres et de ses meilleurs instants de cinéma.
10 : Boulevard de la mort, 2007
Le pitch : Julia, Arlene, Shana. Un trio ravageur adepte de virées nocturnes, de tournées de bars et de jeux de séduction. Si les amies se noient dans les rires et les vapeurs de l’ivresse, c’est sans compter sur Mike, sa balafre et son effrayant véhicule, qui les observe depuis le comptoir de son œil prédateur.
L’alliance d’une atmosphère apocalyptique de fin d’été et d’une bande de filles pas franchement méfiantes face à « Stuntman Mike », le tueur au sourire carnassier, aurait tout d’un bon polar. Malheureusement le film est plus axé sur des observations voyeuristes de conversations de comptoir à rallonges et des courses-poursuites automobiles – remarquables en passant –, n’en déplaise aux amoureux des bolides.
La scène : « Gauche ou droite ? » demande Mike à Pam, sa passagère blonde improvisée. Violemment secouée dans sa cage de verre, la jeune fille succombe sous les violents coups de frein du conducteur. L’instant fatidique révélant la vraie nature d’un tueur sadique refroidit sérieusement l’ambiance, et laisse présager la terrible fin réservée aux protagonistes.
9 : Les 8 Salopards, 2015
Le pitch : Années 1870. Le chasseur de primes John Ruth et sa prisonnière Daisy Domergue sont en chemin pour Red Rock à travers des terres enneigées. Sur la route, le marquis Warren, également reconverti dans la course aux primes, et Chris Mannix, nouveau shérif de Red Rock, se joignent au voyage. Surprise par une soudaine tempête, la troupe fait escale dans une auberge isolée, où elle fait la rencontre de quatre mystérieux individus, aux histoires et aux personnalités singulières. La présence d’un poison dans le café révèle aux yeux de tous la présence d’un imposteur, que l’on soupçonne complice de Daisy. Les funestes paris sont lancés…
Mi-western, mi-huis-clos, le film se présente comme une performance dialoguée supplémentaire du cinéaste. Autour de l’insoumise Jennifer Jason Leigh, ses sept personnages à la morale contestable se partagent la vedette au sein d’une intrigue causante, politisée et incisive. Si les fans de Tarantino reprochent quelques longueurs et évidences, elle n’en reste pas moins captivante dans cette oppressante chasse au traître, façon Reservoir Dogs. Un bon point attribué à l’interruption narrative de la voix off en pleine tirade de Samuel L. Jackson (Warren), qui donne à temps un nouveau souffle au récit.
La scène : Empoisonnement du café par une main anonyme : début des réjouissances ! Lorsque John Ruth et son chauffeur se mettent à déverser des litres de gerbe ensanglantée devant un Mannix pétrifié, la tasse aux lèvres, le film investit sa dimension policière. Dans les yeux de Warren paraît cette lueur, signe d’une détermination honteusement tarantinesque à charcuter quelques convives dans sa recherche du coupable.
8 : Once Upon a Time … in Hollywood, 2019
Le pitch : Fin des années 60. La star de télévision Rick Dalton et sa grande gueule de doublure cascade Cliff Booth voient leur carrière s’essouffler. Au coeur d’une industrie hollywoodienne en plein renouvellement qui les dépasse de plus en plus, le duo tente de se maintenir en selle. La rencontre fortuite entre Cliff et une jeune hippie déclenche une série d'événements mystérieux qui pourraient bien changer le cours de l’histoire.
Splendide performance d’acteurs, doublement mise en abîme : le duo Pitt/DiCaprio, presque tendre, est à mourir de rire. Un bel hommage de Tarantino à l’âge d’or hollywoodien des années 60, qui n’est pas sans révéler ses qualités dans un registre moins sanglant et plus personnel dans l’émotion qu’il dégage. Sur la base d’une narration uchronique et dynamisée qui revisite le tragique assassinat de Sharon Tate, le cinéaste propose une jolie fresque cinématographique empreinte de nostalgie.
La scène : La plus tarantinesque. Un surréaliste combat entre un Cliff défoncé, l'éméché Rick lanceur de flammes et ces trois hippies fanatiques venus prendre leur revanche sur les hauteurs d’Hollywood. Incendiaire et inattendue, l’apothéose finale ravit les spectateurs en manque d’hémoglobine, autant qu’elle donne à l’Histoire un souffle plus avenant.
7 : Kill Bill 2, 2004
Le pitch : Ses deux premières opposantes rayées du calepin, Beatrix Kiddo respecte rigoureusement sa liste, toujours en cavale jusqu’à Bill, son éternel bourreau.
Une suite honorable et fidèle au premier volet dans son rythme et sa poésie barbare. Ce final tranchant et multigenre ne déçoit pas son public, s’appuyant sur une note plus modeste, plus humaine, mais tout aussi noble. Clôture d’une épopée meurtrière de haut vol.
La scène : Quoi de plus poignant qu’une scène de retrouvailles entre une mère et sa fille, qu’elle croyait avoir perdue pour toujours. On garde en tête cette image désarmante de l’amazone Kiddo face au tableau de Bill et de ce petit ange blond, le visage déformé d’une émotion sans pareil, avant qu’elle-même s’effondre maternellement sous les tirs virtuels d’une fillette innocente.
6 : Django Unchained, 2012
Le pitch : Libéré de ses chaînes d’esclave par le docteur Schultz – un chasseur de primes allemand –, Django s’engage à lui prêter main forte dans sa recherche des frères Brittle, dont la tête est mise à prix. L’épopée de ce duo complice les mène sur la piste de Broomhilda, femme de Django, vendue par le passé à un riche et cruel propriétaire de plantations, qu’ils vont tenter de racheter par la ruse.
Jamie Foxx et Christoph Waltz forment ici une paire magistrale et très attachante : d’un coté la force tranquille d’un homme bafoué sur les traces de sa belle, de l’autre la verve jubilatoire d’un Dr Schultz qui n’en finit pas d’amadouer les plus réticents. Digne héritier des « Il était une fois … » Léoniens, le film déroule une version tarantinesque du western spaghetti autour de l’esclavagisme, sa noirceur et son absurdité, jusqu’au final explosif d’un vainqueur dans la brume. Mention spéciale à la bande originale légendaire qui nous berce tout au long de voyage.
La scène : Au regret de ne pas mentionner ici l’une des délicieuses tirades de King Schultz, prenons l’assaut nocturne de la diligence des deux compères par un Ku Klux Klan encapuchonné. Malgré l’épique Requiem de Verdi qui accompagne leur course effrénée, on assiste à une scène poilante. Entre ces membres moyennement convaincus s’engage un dialogue absurde quant au perçage – médiocre – de leurs cagoules, aux allures quasi-diplomatiques. Dans une position de lâches, les nigauds malvoyants finissent par déguerpir, après la prévisible explosion du véhicule, programmée par Schultz.
5 : Jackie Brown, 1997.
Le pitch : Jackie Brown, hôtesse de l’air, est employée par Ordell Robbie – un trafiquant d’armes – à transporter clandestinement pour lui de grosses sommes en liquide. Lorsqu’un agent fédéral la prend la main dans le sac, Jackie se voit contrainte d’aider la police, tout en échappant aux suspicions d’Ordell, qui craint pour sa couverture. Menant un double jeu lors du transfert suivant, avec l’aide d’un prêteur de caution, l’ingénieuse hôtesse met en place une stratégie pour s’enfuir avec l’argent sans être inquiétée.
Plus qu’une simple escroquerie, Jackie Brown est aussi le portrait mélancolique d’une femme quarantenaire au futur incertain, que le cinéaste prend le temps de nous introduire avec une sensibilité certaine. Une violence plus modérée dans ce film-ci, au profit d’une caractérisation plus profonde des personnages. Force est de constater que Pam Grier crève l’écran, portée par un Tarantino qui excelle dans l’art de célébrer de nouveau ces stars en pleine éclipse.
La scène : Un grand magasin labyrinthique. 500 000 dollars dans un sac recouvert de serviettes sur les bancs d’une cabine. En course, plusieurs prétendants. L’astucieuse Jackie Brown, dans un rôle de dindon de la farce, le duo Louis/Mélanie, la brute et la bimbo, trépignant d’impatience, et enfin Max Cherry, un avisé complice, insoupçonné jusqu’alors. Les trois points de vue se rejoignent autour d’une mécanique parfaitement fluide. Joli numéro servi par l’hôtesse à ceux qui pensaient se jouer d’elle.
4 : Inglourious Basterds, 2009
Le pitch : 1940, sous l’Occupation. Shosanna Dreyfus, témoin de l’exécution sauvage de toute sa famille sur ordre du colonel Hans Landa – dit « le Chasseur de Juifs » – parvient à prendre la fuite. Réfugiée à Paris sous couverture d’une fausse identité et nouvellement propriétaire d’une salle de cinéma, la jeune femme reprend le cours de sa vie, toujours animée d’un insatiable désir de vengeance. De leur côté, le lieutenant Aldo Raine et sa bande de soldats juifs américains, les « Bâtards », terrorisent les patrouilles nazies. Avec l’aide d’américains radicaux et d’une actrice allemande infiltrée, tous préparent un attentat contre les têtes pensantes du Troisième Reich.
Le film fait mouche grâce à son casting improbable et ses subtilités dialectiques maîtrisées. Sa marque de fabrique : un puzzle narratif brillamment mis en scène, et surtout cette réinvention audacieuse d’une sombre période de guerre, ainsi amputée de son caractère historique au profit d’un humour noir dénonciateur. Une sympathique histoire de cinéma plus qu’un portrait de l’Occupation. Parmi ses récompenses multiples, on note la performance de Christoph Waltz dans le rôle du SS sans scrupules, d’une finesse remarquable.
La scène : Une scène d’ouverture glaçante qui détonne dans un ensemble délirant plutôt proche de farce. De ses jeux de regards, ses longs silences pesants et ses politesses sournoises, la conversation entre Mr Lapadite et Hans Landa inspire cette angoisse latente des efforts que l’on sait vains. Lorsqu’il finit par désigner timidement la cachette de ses protégés, avec dans ses larmes le poids de la culpabilité, la force des détonations qui s’ensuivent sonnent tragiquement à l’oreille.
3 : Kill Bill 1, 2003
Le pitch : Beatrix Kiddo, autrefois membre de l’Organisation criminelle des Vipères Assassines, est laissée pour morte, enceinte, le jour de son mariage, ainsi que l’ensemble de ses proches. Ultime survivante de l’assaut, elle se réveille après quatre ans de coma, vengeresse, déterminée à éliminer ses anciens complices acteurs du massacre, et tout particulièrement Bill, son ancien chef et amant.
Premier volet d’un thriller justicier en deux parties, le film raconte l’épopée exaltante d’une guerrière injuriée, avec en tête d’affiche l’indomptable Mariée, Uma Thurman, prête à retourner le monde. Un hommage ambitieux au chanbara japonais, que les amoureux de la Shaw Brothers hongkongaise ou des Sept Samouraïs de Kurosawa ne peuvent qu’apprécier. Gros plans magnétiques, combats millimétrés, couleurs chatoyantes : une épreuve pour l’esprit, un délice pour les yeux.
La scène : La scène dessinée relatant les origines d’O-Ren Ishii se détache par son originalité, et s’impose comme la plus stylistiquement osé. Si son esthétique contraste avec son caractère horrifique, puisque la jeune O-Ren assiste ici impuissante au sanglant meurtre de ses deux parents, elle dévoile l’estime du réalisateur pour l’animation japonaise autant qu’elle tient le spectateur en haleine.
2 : Reservoir Dogs, 1992
Le pitch : Après l’échec du braquage d’une bijouterie à l’issue douloureusement éprouvante pour certains, une bande de cambrioleurs se réfugie dans l’entrepôt désaffecté qui leur sert de planque. La surprenante rapidité de la police à intervenir ne laisse aucun doute : l’un d’entre eux est un traître. Entre menaces et suspicions, la tension est palpable : une chasse à l’homme commence.
Premier long-métrage, premiers pas prometteurs du réalisateur. Ce film aux dialogues acides et la violence inattendue le révèlent au grand public à travers un style peu commun. Par ce huis-clos ravageur d’une intelligence scénaristique rare, le cinéaste dérange et fascine tout en révélant l’inconscient voyeuriste du spectateur. Devenu culte malgré sa réception initiale mitigée, Reservoir Dogs lui ouvre les portes du succès.
La scène : Aaaah, la fameuse scène de l’oreille coupée qui se dérobe à nos yeux. Ce flic gratuitement mutilé de la main d’un Mr Blonde aussi serein que hilare. Un intense moment de cinéma durant lequel le personnage bascule d’un statut de petit voyou à celui d’un dangereux déséquilibré. Sur l’air de Stuck in the middle with you, faussement rassurant et délicieusement transformé en complainte vicieuse, ce geste constitue la première signature macabre du jeune Tarantino.
1 : Pulp Fiction, 1994
Le pitch : Prenez une belle brochette de malfrats. Un couple de braqueurs en pleine improvisation, deux compères en mission pour leur riche gangster de patron et un boxeur en fuite à la parole discutable. Trois destins qui s’entremêlent au sein d’une aventure aussi sanglante que cocasse.
Indéniablement culte, Pulp Fiction vient confirmer les talents du jeune cinéaste grâce à un succès critique et commercial qui le place 94e meilleur film américain (AFI). Son style anticonformiste et ses répliques mordantes convainquent : encensé pour son esthétique nouvelle et ses nombreuses références populaires – notamment musicales – ramenées sur le devant de la scène, Pulp Fiction est sacré Palme d’Or à Cannes en 1994 puis oscarisé meilleur scénario original.
La scène : Un « Am Stram Gram » interminable pour désigner lequel de Butch ou Marsellus sera la première victime d’un viol organisé. Alors que le sort désigne Mr Wallace, le boxeur laissé sans surveillance parvient à défaire ses liens. C’est au moment de franchir la porte de la boutique que le poids de sa conscience lui intime de redescendre et de porter secours à cet homme qui veut pourtant sa peau. Tragique instant de rédemption.
Marie Labalette
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