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Comptant parmi les chefs de file du nouveau cinéma roumain depuis le début des années 2000, Corneliu Porumboiu reste peut-être le moins connu de ses compatriotes, à commencer par Cristi Piu ou Cristian Mungiu (Palme d’or 2007 pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours). Multi-récompensé au festival de Cannes, Porumboiu a tracé un sillon singulier dans un cinéma roumain rompu aux drames intimistes à fort enjeu sociétal. S’éloignant de l’esprit de sérieux de ses camarades, le cinéaste a repris à son compte la radiographie sociale de son pays en y injectant une forte dose d’humour. Le résultat de ce cocktail savoureux, ce sont des comédies absurdes, mais également des documentaires, qui mêlent l’intime et l’Histoire d’un pays fâché avec son passé, comme en témoignent la nouvelle classe moyenne, sujet fétiche du nouveau cinéma roumain, prise entre de multiples contradictions. À l’occasion de la sortie de son dernier film, Les Siffleurs, présenté en compétition officielle au dernier festival de Cannes, retrouvez sur UniversCiné un panorama de la filmographie de Corneliu Porumboiu.

 

1 - 12h08 à l'est de Bucarest, 2006

12h08 à l'est de Bucarest, le premier long métrage de Corneliu Porumboiu, connaît un grand succès en recevant pas moins de 7 prix dont la Caméra d'Or au Festival de Cannes de 2006. Le réalisateur roumain y peint, avec humour et absurde, un portrait peu glorieux des classes moyennes roumaines, 16 ans après la révolution. Cette révolution roumaine de 1989, qui mit fin au règne de Nicolae Ceausescu (dictateur communiste du pays), a été retransmise en direct à la télévision. C’est précisément par ce biais-là que Porumboiu propose d’entrer dans l’Histoire de son pays. Les habitants d’une petite ville créent une émission de télé diffusée en direct qui a pour but de confronter les citoyens à leur passé en essayant de répondre à la question suivante : la ville a-t-elle réellement contribué à la révolution ?

L’œuvre se présente en diptyque : la première partie expose le contexte et le climat social de la petite ville, dont on sait seulement qu’elle est située “à l’est de Bucarest”, à travers ses habitants. Les trois personnages principaux du film représentent une Roumanie sans fard, morne, engluée dans l’alcoolisme, la précarité et le désœuvrement. La fixité de la caméra, associée aux longs plans séquences sur les personnages, nous plongent dans leur quotidien glauque, en alternant intérieurs étroits, poussiéreux et extérieurs lugubres et fades. Cependant, rien n’est triste. Ces personnages fantasques font pétiller l’image, par leurs personnalités loufoques, leur truculence et la drôlerie de leurs dialogues.

À travers sa satire sociale, Corneliu Porumboiu dénonce façon indirecte, l’hypocrisie de certains roumains, et montrer leur lâcheté face aux événements. Mais 12h08 à l'est de Bucarest apparaît d’abord comme une comédie humaine où le cinéaste cherche à faire sourire le spectateur en détournant les codes de la télévision. Au point que la réponse n’est finalement pas de savoir si les habitants de Bucarest ont été des héros ou non. Non, le réalisateur préfère montrer à quel point tout ce débat n’est, en réalité, qu’une farce cinématographique.

 

2 - Policier, Adjectif2010

Salué par la critique, le second film de Corneliu Porumboiu met en scène Cristi, jeune policier d’une petite ville roumaine travaillant depuis plusieurs mois sur le dossier d’un lycéen qui consomme et distribue du haschich à ses camarades. De filature en filature, il s’interroge : « n’est-ce pas grotesque d’envoyer un adolescent en prison pour seulement quelques joints ? »

Avec ses plans séquences fétiches et des décors d’ensemble dénudés, le réalisateur nous embarque au cœur d’une Roumanie rurale où tout se sait. En cadrant son protagoniste en plans larges, en le filmant parfois de dos, Porumboiu place le spectateur en position de témoin invisible. Cristi mange, planque, range et déambule sous le regard voyeur et immobile d’une caméra qui traduit l’inertie de son existence, doublée d’un montage répétitif et d’une disposition très symétrique et distanciée des corps. Policier, adjectif prend son temps: les lenteurs volontaires, proches d’une temporalité réelle, sont celles de l’attente, de l’ennui et du surplace d’autorités déboussolées.

Dans cette affaire, le délit interpelle par son caractère dérisoire et la surenchère des investigations qu’il déclenche, ce qui provoque un cas de conscience non dénué d’humour chez Cristi. La solennité des interventions et des rapports initiés par le jeune policier a tout de la disproportion. Par antagonisme, Corneliu Porumboiu pose un regard critique sur la bureaucratie et les conditions de travail déshumanisantes et laborieuses de la police locale. Dépeignant un carcan législatif rigide, le réalisateur évoque une Roumanie procédurière, peu encline à laisser place à la nouveauté. En parallèle, toute la finesse de Policier, Adjectif repose sur l’intervention méthodique du discours qui, par sa rareté et sa justesse, joue avec élégance sur la sémantique et la polysémie des termes communs. Avec cette séquence marquante où le chef de Cristi l’oblige à lire le dictionnaire à voix haute et celle de l’étude grammaticale proposée par sa compagne, Porumboiu rappelle la puissance des mots qui, en plus de toucher à l’absurde, instaure une tension latente jusqu’au verdict final. Dans ce raisonnement philosophique convoquant devoir et entendement, le réalisateur vient transgresser les codes du film policier au service d’une fresque sociale dans laquelle une question demeure « la loi est-elle plus importante que la morale, et sont-elles compatibles ? ».

 

3 - Métabolisme ou quand le soir tombe sur Bucarest , 2013

Un film au titre bien étrange dans lequel Corneliu Porumboiu continue de creuser sa veine esthétique et tient son dispositif tout au long de son œuvresi particulière. Comme toujours, exit les gros plans, oubliés les inserts et les grands mouvements de caméra. Mais ces contraintes imposées, comme les longs plans-séquences, ne tombent pas dans le piège du contemplatif. Porumboiu utilise une bande sonore très riche qui nourrit ses images et donne à ses personnages des dialogues abondants. Le spectateur est alors rapidement perturbé par ce paradoxe narratif entre le traitement des images et celui du son.

Métabolisme ou quand le soir tombe sur Bucarest fait écho au chef d’œuvre de Pedro Almodovar Etreintes Brisées. Ces films offrent tous deux une réflexion autocentrée sur le cinéma. Mais à la différence d’Almodovar qui place toujours son actrice au centre de ses intrigues, faisant d’elle un objet de désirs, de regards et d’inspiration, Corneliu, lui, préfère mettre en exergue dans son film le personnage du cinéaste et d’une manière toute autre. Il est placé au centre de l’image, toujours sur-cadré par les décors, presque « sur mis en scène » pour apparaître le plus souvent comme ridicule. Et c’est bien là l’objet du film. Porumboiu nous donne à voir le portrait d’un réalisateur menteur, hâbleur, égocentrique et totalement obsédé par son actrice. C’est une vision caricaturale de l’homme de pouvoir qui n’a qu’une ambition ; celle de séduire son actrice, au point de chercher absolument à tourner une scène de nue avec elle, scène qui n’a aucune raison d’être dans le film. Ainsi, le réalisateur roumain casse totalement le mythe du cinéaste et de son actrice muse en le remplaçant par un simple goujat obsédé par un désir malsain. On ne ressent pas la même passion qu’éprouve le personnage féminin de Magdalena (Penélope Cruz) pour son réalisateur Mateo Blanco (Lluis Homar) dans le film d’Almodovar.

Outre ce désir charnel pour son actrice, les questionnements et tourments du cinéaste égocentrique sont résumés en une question plus profonde : « les gens vont-ils continuer à regarder des films ? ». Question bien vaste, à laquelle Porumboiu préfère ne pas répondre frontalement. Il choisit de filmer jusqu’ au bout la bassesse de son personnage, en allant au terme de son procédé filmique. À la fin du film la caméra le suit dans sa voiture, dans sa maison, dans sa cuisine, dans ses conversations privées, jusqu’à finir dans son propre corps. Peut-être un début de réponse…

 

4 - Match retour2014

Le documentaire Match Retour reprend, dans son intégralité, un match de football de 1988 opposant les deux meilleures équipes du pays, deux équipes de la capitale Bucarest, le Dinamo et le Steaua. Aux commentaires : Corneliu Porumboiu réalisateur, accompagné de son père, arbitre du match.

Réalisé par Porumboiu en 2014, année de coupe du monde, Match retour est à la fois un documentaire et un film expérimental sur le foot, la politique de son pays mais aussi et surtout sur sa relation avec son père. Le film se rapproche de ce que fut le cinéma vérité de Jean Rouch (dont Chronique d’un été est l’un des exemples les plus parlants) : c’est un cinéma interventionniste qui cherche à provoquer le réel pour faire exister des séquences qui seraient capable de nous raconter la vie de manière plus intense que si nous nous positionnons en simple observateur, sans se départir du souci de vérité. Un cinéma qui exploiterait le pouvoir de la caméra comme catalyseur du réel. Corneliu Porumboiu décide simplement de projeter ce match et de le commenter, pour pouvoir révéler, au fil de ses discussions, sa propre vérité.

La portée politique du match, qui oppose l’équipe de l’armée (le Steaua Bucarest) et celle du ministère de l’intérieur (le Dinamo Bucarest) un an avant la fameuse révolution qui renversera la dictature communiste, est évidente. Pour le réalisateur, ce match était « l’allégorie de la lutte du pouvoir sur un terrain de jeu enneigé ». Cet évènement permet à Porumboiu de pénétrer la grande Histoire de son pays par ses manifestations les plus anodines.

Les images du match sous la neige sont hallucinantes et surannées par rapport aux retransmissions sportives d’aujourd’hui. En fan de football, fils d’arbitre oblige, Porumboiu en profite pour nous interroger sur notre condition de spectateurs contemporains, consommateurs de duels individuels et de ralentis à la « super loupe » qui isolent chaque action d’un sport par définition collectif. La conclusion Porumboiu l’a fait lui même en comparant ces anciens matchs à ses films :  “c’est long et il ne se passe rien…”, à première vue, évidemment...

 

5 - Le Trésor2015

Costi, père de famille modèle, a pour habitude de conter à son fils les aventures de Robin des Bois, prince des voleurs. Un soir, l’un de ses voisins débarque à l’improviste et lui confie connaître l’emplacement d’un trésor, enfoui dans son jardin par ses aïeux, horrifiés par l’arrivée des communistes. Pour effectuer ses recherches, l’homme a besoin d’argent et demande l’aide de Costi qui, malgré son scepticisme et ses maigres économies, se laisse gagner par l’appât du gain et investit près de huit cents euros dans l’acquisition d’un détecteur de métaux.

Dans cette aventure à la fois glorieuse et tendrement pathétique, primée dans la sélection Un certain regard à Cannes en 2015, Porumboiu filme avec une lenteur délicieuse l’impatience et l’énergie déployée par les deux voisins pour retrouver un trésor dont on a beaucoup de mal à croire qu’il existe, tant les informations à son propos sont confuses et les recherches chaotiques. Avec le même talent, désormais éprouvé, Porumboiu mêle l’intime et le sociétal, l’historique et le contemporain dans une valse de dialogues aussi exquis qu’absurdes. Un exemple parmi d’autres: la scène surréaliste dans laquelle Cristi avoue préparer une chasse au trésor à son patron, qui l’a convoqué pour une absence injustifiée. Face aux aveux, ce dernier préfère croire à une liaison extra-conjugale, la recherche d’un trésor étant incompatible avec sa vision pragmatique des choses.

À travers son film, Porumboiu soulève avec beaucoup d’auto-dérision les travers de son pays, dont la tendance à l’individualisme et à la thésaurisation. Le trésor, symbole de ces travers, symbolise aussi un espoir, un enchantement possible du monde.

 

6 - Football infini, 2018

Après le très personnel Match retour de 2013, Corneliu Porumboiu recueille le témoignage de l’un de ses amis d’enfance, Laurențiu Ginghina, haut fonctionnaire de la préfecture de Vaslui qui souhaite modifier les règles du football. Le cinéaste dessine le portrait touchant d’un homme guidé par ses ambitions, lesquelles touchent à la théorie et aux enjeux politico-économiques du sport le plus populaire du monde.

Au fil de leurs échanges, faits d’anecdotes racontées dans des lieux symboliques, affleure la douce extravagance de Ginghina qui réinvente, avec beaucoup d’aplomb et d’humanité, les règles d’un sport et presque l’histoire d’un pays. Si ses propositions, à la fois très finement pensées et complètement délirantes aux yeux de ses contemporains, peuvent être accueillies comme une présomption démesurée, elles ne semblent être que l’expression passionnée des rêves de toute une vie et des espoirs d’un ancien joueur, prisonnier d’un quotidien monotone, qui refuserait de se laisser gagner par la résignation. Mais peut-on espérer bouleverser le schéma d’un sport complexe, si fortement ancré dans la culture mondiale, avec cette approche intimiste et ultra-singulière ?

Faisant preuve d’un humour délicat, sans cynisme ni malice, Porumboiu évoque à nouveau son amour du football et surprend grâce à une séquence finale onirique qui permet une analogie savoureuse entre pacification sportive, harmonie sociale et utopie politique.

 
 
 

 

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