" La saga des Khan, des Singh et des Qureishi reprend exactement là où on l'avait laissée. Le chef de gang Sardar Khan est tombé sous les balles des tueurs de son rival Ramadhir Singh, dont il avait réussi à grignoter l'empire. Son fils aîné Danish ne tardant pas à être assassiné à son tour, c'est à Faizal, effacé et accro au haschisch qui n'avait rien demandé (personnage déjà intrigant de la première partie), qu'il incombe de reprendre les rênes et d'accomplir la vengeance (...) C'est la routine de la violence qui se poursuit imperturbablement, au point que même ceux qui ont manqué l'épisode précédent n'auront que peu de difficultés à suivre l'histoire tout au plus un bref temps de réflexion pour saisir les relations entre les multiples personnages. Les autres spectateurs, en revanche, pourront constater que cet ordinaire meurtrier n'apparaît pas sous le même jour qu'auparavant.
La plupart des meurtres de la première partie étaient empreints d'un humour noir de l'absurde, où transparaissait la maladresse de tueurs donnant l'air d'être inexpérimentés. Ici, si l'acte de tuer paraît toujours assez laborieux, ces difficultés ne prêtent plus vraiment à rire, même jaune, les intervenants se montrant plus maîtres d'eux et capables de retourner les situations à leur avantage. La satire a cédé la place à un regard plus sérieux, mais aussi moins distant, indiquant que le processus de perpétuation de la mort violente est arrivé à une terrible maturité. Au point que ce processus ne semble plus avoir besoin de balisage clair pour arriver à sa finalité : les chemins pour arriver aux cibles peuvent être des plus chaotiques (d'où une errance interminable dans les rues) ; et à force de se massacrer entre clans, on se demande si au sein de chacun d'eux les familles ne vont pas se déchirer (voir le rôle d'agent double endossé par le fascinant personnage du demi-frère de Faizal, le tristement prénommé « Définitif » joué par le scénariste Zeishan Quadri).
À bien regarder le film entier (puisqu'il s'agit bien d'un seul film-fleuve coupé en deux), c'est dans son ensemble qu'une évolution s'est opérée, les pistes esquissées au début se précisant ici avec une densité et une intensité accrues. Nous avions déjà signalé, à propos de la première partie, l'acte de rébellion que constituait le film contre les conventions de l'hégémonique Bollywood. Cette suite confirme cependant ce qu'on pouvait soupçonner auparavant, que l'oeuvre ne se limite pas à un simple bras d'honneur. D'abord, le rapport à Bollywood est ambigu. Gangs of Wasseypur ne se contente pas de prendre le contre-pied des conventions de l'industrie cinématographique (voire audiovisuelle, avec les soaps de télé) dominante, ou d'en semer des citations de cinéphile (comme une affiche portant le nom de Yash Chopra bien visible) : il les inclut pleinement comme accessoires, comme matériel doté d'un rôle, que les personnages peuvent à l'occasion s'approprier sans que cela implique quelque message de méta-film.
De fait, ces personnages qui chantent, dansent, écoutent des chansons et en font leur sonnerie de téléphone, vont au cinéma ou allument leur télé, ne sont pas là pour se laisser utiliser par le cinéaste afin de formuler un discours sur Bollywood ou la culture populaire indienne en général : ils en paraissent véritablement imprégnés, au point de le laisser souvent transparaître de façon presque incongrue dans une saga criminelle. Et puis, par ce même usage des références culturelles, Gangs of Wasseypur se démarque, dans le genre de la chronique mafieuse, d'aînés encombrants (pour le cinéaste et le critique) comme la trilogie du Parrain ou Les Affranchis, dont il ne aspire moins à être le pendant national qu'à y être une réponse spécifique. Tandis que Coppola et Scorsese usent de leurs références cinématographiques et musicales comme purs effets de mise en scène, signes lancés à des aînés ou astuces de distanciation (la musique en contrepoint dans Les Affranchis), Anurag Kashyap les rend partie prenante du sujet à filmer..."
Benoît Smith
Une débauche d hémoglobine sans interêt.