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25 années de règne du dictateur roumain Nicolae Ceausescu passées en revue à travers les seules archives « officielles » conservées par la télévision d'Etat.
Au cours du procès sommaire auquel il a été soumis avec sa femme, Nicolae Ceausescu passe en revue la période de sa vie pendant laquelle il a été au pouvoir : 1965-1989. Le réalisateur de ce documentaire exceptionnel n'a utilisé que les seules archives « officielles » conservées par la télévision d'Etat mais souligne par son montage leur portée et leur pouvoir. Au final, cette "autobiographie" a le souffle d'une fresque historique d'un genre nouveau.
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" Nicolae Ceausescu, bravache, refuse de répondre à ses juges. La scène a fait la une de tous les journaux télévisés en décembre 1989. Elle
" Nicolae Ceausescu, bravache, refuse de répondre à ses juges. La scène a fait la une de tous les journaux télévisés en décembre 1989. Elle ouvre le documentaire-fleuve d'Andrei Ujica, portrait du satrape roumain, entièrement composé d'images de la télévision d'Etat sous sa dictature. Le film est construit en un long flash-back : comme si Ceausescu, juste avant son exécution, se remémorait les vingt-cinq années de son règne. Aucun commentaire en voix off, aucune indication sur l'identité des personnages à l'écran : le réalisateur fait confiance à la culture du spectateur. Qui sera bien inspiré de réviser l'histoire des démocraties populaires avant la projection...
Les archives sont, pour l'essentiel, issues de scènes protocolaires : Ceaucescu reçoit (beaucoup) les grands de ce monde, Ceaucescu voyage (souvent) des deux côtés du Rideau de fer, Ceausescu parle (longuement) devant les cadres du Parti. Dans cette masse parfois aride, le réalisateur a su extraire de nombreuses pépites : un spectacle (aussi fastueux qu'une cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques) organisé en Corée du Nord en hommage au Conducator, ou une partie de volley-ball pendant laquelle Ceausescu triche en toute impunité... Les mises en scène du régime , les discours sur « l'avenir glorieux » masquaient tant bien que mal le délabrement de la Roumanie dans les années 1980. Le sens de toutes ces images de propagande a aujourd'hui changé : elles sont devenues leur propre autocritique."
"Andrei Ujica tisse cette fresque à partir d’un matériau encore plus gigantesque que lors de ses deux derniers films, Videogramme einer Revo
"Andrei Ujica tisse cette fresque à partir d’un matériau encore plus gigantesque que lors de ses deux derniers films, Videogramme einer Revolution (co-réalisé avec Harun Farocki) et Out of the Present (1995). Nicolae Ceausescu était filmé au moins une heure par jour, une manie aboutissant à une monumentale archive d’environ 10 000 heures, dont 1000 furent conservées à l’Archive nationale du cinéma et l’Archive de la télévision nationale, attendant patiemment le travail acharné d’Ujica. À partir de ces images déjà là se tisse un « film » de l’histoire, notamment cette rapide prise en main du pays, passant par le fait de rebaptiser – l’un des premiers actes du « Danube de la pensée » – le Parti des travailleurs de Roumanie en Parti communiste roumain. De même que la singularisation du pays au sein du bloc communiste, faisant glisser la Roumanie vers un modèle national-communiste moins assujetti à l’orbite de Moscou - condamnant notamment l’écrasement du printemps de Prague. Et nouant des liens avec les pays occidentaux, en champion de l’indépendance nationale, chose louée par De Gaulle en visite officielle à Bucarest.
Mais toute la valeur du film est justement de ne pas se contenter de narrer l’histoire, mais d’organiser une circulation abyssale entre cette dernière et un duo infernal : pouvoir-images. Et en cela d’interroger la représentation d’une façon tout à fait fondamentale. Ujica représente ainsi un cinéaste - c’est aussi un théoricien et un enseignant - pour le moins singulier, sans caméra mais avec visionneuse et table de montage (et une monteuse nommé Dana Bunescu, maillon évidemment précieux ici). Ce qui revient pour lui à énoncer des images sans en avoir été l’énonciateur originel : non un œil derrière l’objectif de l’appareil, mais un regard postérieur proposant une reformulation par le travail de montage. Tentons la qualification de « remise » en scène des images, une façon aussi de les remettre en jeu, de les replacer devant les regards. Il ne s’agit pas de jouer avec les mots, mais rarement le fait de monter et de montrer des images aura été aussi lié. L’objectif ne consiste pas à démontrer avec ces images – c’était souvent leur but originel –, l’impressionnant travail qui préside ici est à considérer comme un mouvement de démontage/montage et de déconstruction/(re)construction de trois flux entremêlés : images, histoire et pouvoir."
" ... le rouleau compresseur des images nous met ainsi dans la situation affolante du Roumain "désinformé" tout en comptant sur notre connai
" ... le rouleau compresseur des images nous met ainsi dans la situation affolante du Roumain "désinformé" tout en comptant sur notre connaissance de la vérité historique pour décoder les monstrueux mensonges. Une expérience hypnotique et ambiguë dont on ressort hantés."
Bernard Achour"... Né en 1918, Ceausescu gravit tous les échelons du parti et en prend la tête en 1965, à la mort de son prédécesseur et tuteur Gheorghiu
"... Né en 1918, Ceausescu gravit tous les échelons du parti et en prend la tête en 1965, à la mort de son prédécesseur et tuteur Gheorghiu Dej. L'histoire commence plutôt bien. Sous sa conduite, la Roumanie connaît une forte croissance, cultive des relations avec les pays occidentaux, affiche son indépendance à l'égard de Moscou - il condamne, en 1968, l'intervention militaire en Tchécoslovaquie. Les choses se gâtent en 1971, quand le "Guide roumain", qui ne tarde pas à se baptiser "Génie des Carpates", tombe sous les charmes réunis de la Révolution culturelle chinoise et de la planification paranoïaque du régime nord-coréen. S'en suit : népotisme du régime, toute-puissance de l'appareil policier, culte de la personnalité et des ancêtres de la nation, politique nataliste aberrante, destruction des villes et des villages, économie menant à la famine.
Cette farce macabre, le film d'Andrei Ujica la relate à travers une odyssée de trois heures. Son originalité, pour ne pas dire son étrangeté, est d'être mise en scène avec les images qu'employa le despote pour sa propre édification, sans commentaire ajouté, sans témoignages, sans souci de contextualisation ni d'identification des personnages. Il en résulte, au regard de la vocation pédagogique attendue d'un documentaire historique, du désarroi, de l'égarement. Il faut en déduire que L'Autobiographie de Nicolae Ceausescu est autre chose qu'un documentaire. Une clinique de la personnification totalitaire, une fresque tragi-comique, une magnifique démonstration de la réversibilité des images.
Ce dernier point est celui qui rend les autres possibles. Dépouillées du commentaire, dotées d'une bande-son favorisant la distanciation, montées selon une nouvelle perspective narrative, les images asservies par le protocole totalitaire sont retournées comme un gant. Le despote est soudain mis à nu, saisi dans le grotesque de ses pantomimes, révélé par la mécanique de ses tics, essentialisé par le sinistre charabia de ses discours.
Chaplin et son Dictateur ne sont pas loin. Il n'est pas jusqu'à la langue roumaine qui ne contribue, pour une oreille latine, à cet effet, en attribuant au chef suprême le titre de "conducator".
Autant dire que ce film est d'une effrayante gaieté. Ceausescu y apparaît comme un nain caricaturé par sa folie des grandeurs. C'est clair quand l'objectif le saisit au côté du général de Gaulle, ça ne l'est pas moins quand le cameraman est obligé de recadrer brutalement un travelling pour ne pas passer au-dessus de sa tête, ou quand on le voit, en tenue de sport, massacrer une partie de volley-ball en mettant toutes les balles dans le filet. Le rire n'en finit pas moins par virer jaune.
Ouvert et clos par la scène où le couple Ceausescu, arrêté, est apostrophé par ses accusateurs, le film doit aussi se lire comme un long flash-back filmé depuis le cerveau du despote. La Roumanie de Ceausescu y apparaît comme le décorum d'un rêve lugubre, le pétrifiant exemple d'un pays et d'une nation transformés en simulacre. Cette imagerie du XXe siècle est aussi un précieux viatique pour qui voudrait comprendre de quel roman des origines part l'extraordinaire nouvelle génération du cinéma roumain."
"... Tout ne semble qu'artifice au long de ce règne qui prit fin telle une tragi-comédie dans une salle de classe. Devant les caméras le rég
"... Tout ne semble qu'artifice au long de ce règne qui prit fin telle une tragi-comédie dans une salle de classe. Devant les caméras le régime mime la liesse populaire, feint l'opulence alimentaire, se réinvente dans des projets architecturaux pharaoniques. Il faut voir le génie des Carpathes inaugurer des magasins où s'alignent comme à la parade fromages et pâtisseries, se mêler à des bals ou des fêtes foraines, se promener au milieu d'une foule de figurants rejouant les grandes heures de la nation roumaine (...)
Même si l'horreur reste tapie dans nos esprits, on rit donc beaucoup au cours des trois heures (!) de ce film. Maniant avec un rare brio une novolangue marxiste léniniste d'une terrifiante pauvreté intellectuelle, Nicolas Ceaucescu paraît flotter dans son costume de dictateur. Sauf peut-être quand il tonne contre l'intervention du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie en août 1968. Il n'empêche, les Ceausescu, mari et femme, ont fait de la Roumanie une affaire de famille. Là aussi il faut les voir, tels des parvenus, les clés de leur acquisition en poche, goûtant des vacances à la mer, ou s'invitant chez leurs nouveaux "amis", ici la reine d'Angleterre, là le président américain Clinton...
Pour conter cette mascarade longue de plus de deux décennies, Andrei Ujica ne glisse pas un commentaire, n'ajoute rien. Tout est dans son regard et dans le montage. Terrifiant et magistral."
"Un film dévastateur, non tant pour le Conducator dont la cause est entendue, que pour le pouvoir politique en général."
" Le plus saisissant dans le film, ce sont les passages intimistes, des “home-movies d’Etat”, dit Ujica, montrant les Ceausescu à la plage,
" Le plus saisissant dans le film, ce sont les passages intimistes, des “home-movies d’Etat”, dit Ujica, montrant les Ceausescu à la plage, dans des cocktails, à la montagne, jouant (très mal) au volley… On croirait alors feuilleter Paris Match, ou regarder de vieilles actus Gaumont consacrées au Festival de Cannes à la vision de ce couple presque glamour, tels des Kennedy de l’Est, même si Elena (jeune) a en fait des airs de Ségolène Royal.
En montrant de telles images, plutôt que les exactions de la Securitate ou la pauvreté d’un peuple bâillonné, Ujica ne craignait-il pas de donner une image trop flatteuse d’un régime oppressif ?
“Mon titre joue cartes sur table : c’est une autobiographie de Ceausescu, pas une critique vindicative du communisme. Par ailleurs, dénoncer le régime de Ceausescu trente ans après, ce n’est pas passionnant, tout le monde connaît ça. Et puis je ne disposais pas d’archives critiquant Ceausescu, et pour cause, puisqu’elles étaient contrôlées par lui.”
Pour autant, Ujica revendique avec raison la dimension romanesque de son film, dont l’ampleur épique a plus de rapport avec Le Guépard, Barry Lyndon ou Casino qu’avec un docu du type “Roumanie terre de contrastes” ou “Perspectives et impasses du matérialisme dialectique”.
“J’étais dostoïevskien, explique le cinéaste, mais un jour, j’ai découvert Guerre et Paix de Tolstoï, qui m’a fait comprendre qu’on peut mieux s’approcher des complexités de l’histoire par des moyens esthétiques et romanesques.”
Si le film d’Ujica montre que les dictateurs finissent toujours par tomber, résonnant ainsi avec l’actualité du monde arabe, il appartient aussi à une époque révolue. Les petites caméras numériques ont accompagné la chute de Ceausescu, alors qu’internet est un élément-clé des révoltes arabes.L’évolution technologique rend aujourd’hui impossible une mise en scène univoque du pouvoir telle qu’elle fut accomplie par le régime Ceausescu.
L'Autobiographie de Nicolae Ceausescu montre ce grand spectacle du pouvoir ordonné par lui-même, mais aussi le travail du temps qui retourne cette mise en scène contre elle-même. Dans un même mouvement, le souffle de l'histoire et le souffle du cinéma."
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