" Sous l’Occupation, les meilleurs films ’ français, avec les plus grandes stars, sortaient sous le label Continental. Ce que le public, ravi, ignorait, c'est que la Continental appartenait à l'Allemagne nazie. Mais, dirigée par un Allemand cultivé, dévoré par l'ambition de produire des films de qualité, la Continental, qui échappait à la censure de Vichy et payait bien, fut aussi le lieu où des résistants, des Juifs et des communistes trouvaient la possibilité de travailler... sans rien abdiquer de leurs idées.
Ce paradoxe éclatant, Tavernier a longtemps tourné autour, cherchant comment évoquer cette période sans donner l'impression, comme il le dit, de « distribuer des bons et des mauvais points ».
Inspiré par les souvenirs de Jean Aurenche (scénariste lié aux grands succès de Claude AutanMara) et ceux de Jean Devaivre (auteur de deux premiers films inventifs), Tavernier a fini par trouver l’équilibre en nourrissant son film de sa propre énergie de cinéaste, de cinéphile et de militant, dessinant des ponts invisibles entre l’engagement et la soumission d'hier et la permanence des mêmes thèmes aujourd’hui.
Assez loin de Truffaut et d’un sentimentalisme idéalisé - non, ce n'est pas un croisement (Occupation + cinéma), du Dernier Métro et de La Nuit américaine -, Laissez-passer retrace avec chaleur une année glaciale (1942) dans la vie d'un scénariste (approché par la Continental mais qui répugne à travailler pour elle) et d’un apprenti cinéaste (chargé de seconder Maurice Tourneur qui tourne pour cette société La Main du diable avec Pierre Fresnay). Tavernier a centré son récit sur le quotidien de ces artisans du cinéma. Sur les plateaux, dans les bureaux, ces gens-là croisent Henri-Georges Clouzot (le sulfureux réalisateur du Corbeau, supervisant les scénarios à la Continental), André Cayatte, Michel Simon..., et sont amenés à côtoyer Fernande!, Danielle Darrieux ou Raimu...
Mais Tavernier ne les montre pas, les évoque à peine. Laissez-passer est tel un reportage bondissant (Tavernier n’a pas son pareil pour mêler le romanesque à la vivacité documentaire) sur les coulisses d'un film (qui se tourne en studio à Boulogne) et d'une vie (qui entend bien contrer, dans l'ombre, l’occupant nazi indésirable).
Le cinéma français sous l'Occupation est ici un contexte — juste, fort, et précis—, mais juste un contexte, pour le seul sujet qui intéresse le réalisateur : la création et l'engagement. L’un n’allant jamais sans l’autre. C'est avec cette intime conviction que Tavernier dépeint l’époque. Son récit fourmille de personnages (le casting est exceptionnel, jusqu'au moindre rôle) mais ne perd jamais de vue la seule chose qui l’intéresse : offrir au spectateur la preuve qu’une vie sans combat est à moitié vécue."
Philippe Piazzo, 09/01/2002