Oliveira arrête le cinéma
Oliveira ou l'homme des records. Et d'abord, celui de la longévité, puisque, plus que centenaire, il a continué d'1
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Dans l'Espagne des conquistadors, l'amour contrarié de Don Rodrigue et Prouhèze... La mythique pièce de Claudel par le plus célèbre des cinéastes portugais.
Dans l'Espagne des conquistadors, Don Rodrigue aime Dona Prouhèze qui le lui rend bien. Mais elle est mariée à Don Pélage et lui reste fidèle. Lorsque meurt Pélage, Don Camille menace de livrer Mogador aux Musulmans si Prouhèze ne l'épouse pas. Prouhèze, par amour pour l'Espagne, cède. Il semble que l'amour de Rodrigue et Prouhèze demeure inaccompli ici bas.
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"... une des plus grandes œuvres de théâtre du XXe siècle (…), accessible à un grand nombre de gens. Oh ! je sais bien que sept heures ou pr
"... une des plus grandes œuvres de théâtre du XXe siècle (…), accessible à un grand nombre de gens. Oh ! je sais bien que sept heures ou presque de projection, en trois parties distinctes, c’est long… C’est au moins deux de plus que la version donnée par Jean-Louis Barrault. Mais c’est que Manoel de Oliveira a puisé dans nombre de scènes d’une incroyable beauté, par exemple, celle, mystérieuse, des pêcheurs au large de Majorque ou d’autres qui sont comme des digressions de choix."
Plutôt que d’entreprendre une « critique» de ce martre-film, nous avons préféré donner ci-contre la parole à Manoel de Oliveira et à son éq
Plutôt que d’entreprendre une « critique» de ce martre-film, nous avons préféré donner ci-contre la parole à Manoel de Oliveira et à son équipe. Une critique sérieuse de ce Soulier de satin mériterait de toutes façons plus de temps et d’espace, de recul, que nous n’en disposons ici. On se contentera donc de pointer quelques émergences de ce chef-d’œuvre. Claudel, qu’on tient généralement pour précieux et ennuyeux, y est révélé de façon inouïe. Oliveira s’est appuyé sur des acteurs et actrices aux voix choisies, jusqu’aux divers accents, travaillant la diction jusque dans ses moindres intonations (aidé en cela par Jacques Parsi, spécialiste de Claudel).
Peu de films rendent à un tel point un texte (Welles et Shakespeare, Straub et Kafka...); Oliveira, lui, en ressuscite littéralement un. D’aucuns croyaient Claudel un vieux bigot: on retrouve certes dans ce texte sa foi chrétienne, mais riche de mille et unes « bizarreries » hétéroclites (et non orthodoxes), chargé qu’il est de tout un savoureux « bric-à-brac » de mots, de lieux, d’êtres, d’imageries... bigrement païen. Ce texte, vert et baroque, trouve ici sa véritable universalité. Loin de toute bondieuserie desséchée, on baigne dans une démesure verbale et narrative, à l’encyclopédisme kitsch : dans une jouissance du mot toute matérialiste. Loin de l’amour divin abstrait, on nage dans des amours terrestres, humaines (de chair et de sang : écoutez l’ultime tirade de Don Rodrigue).
S'il y a là une passion, c’est bien d’abord et enfin celle de Don Rodrigue pour Prouhèse : celle d’un homme pour une femme. Oliveira, dans sa démarche du théâtre vers le cinéma, de la pièce vers le film, est passé directement par la peinture. Nous assistons à plus, à mieux qu’une pièce de théâtre rejouée en studio : nous voyons des tableaux animés et parlants, des peintures vivantes. Oliveira a exigé de ses comédiens qu’ils ne s’échangent pas de regards et ne se déplacent pas ou à peine : comme dans un tableau, et non comme sur scène. Ils offrent une fixité frontale à la caméra, aux spectateurs. C’est le décor qui « bouge », qui se meut lentement, qui tangue (dans la dernière « journée »). Un décor toujours pictural, il va sans dire, et souvent changeant : Oliveira mentionne ci-contre à quels peintres il a pensé, inséparables de l'époque où se déroule l’action même de la pièce, le XVIéme siècle.
Voici donc un film porté par le texte qu’il sert, et par la peinture qu'il rend ; très loin d'un rapport classique au théâtre, qu’il n’ignore cependant pas. Devant une telle œuvre, la vieille mais toujours actuelle querelle entre académisme et modernité ne tient plus la route. Non pas qu’elle soit dépassée : c’est ce film qui la dépasse, la transcende. Il y a là un état de fusion (texte, tableau, théâtre, peinture, film) certes spécifique à Oliveira et à ce Claudel, mais caractéristiques des plus grands cinéastes : Renoir, Ruiz (l’Hypothèse du tableau volé), Godard (Passion). Oliveira y trouve son état de fusion. Le tout début et l’extrême fin de ce film-fleuve - ou plutôt « film-mer » aux rivages multiples, au bercement unique - sont de toute beauté. Au début, Oliveira effectue un habile et progressif passage de la scène à l’écran : nous sommes au théâtre, la pièce se joue sur les planches, nous pénétrons dans cette pièce (qui devient le film) par une série « crescendo et glissando » de champs/ contre-champs entre un projecteur et la scène.
A la fin au contraire, Oliveira nous révèle brusquement les cintres, au-dessus de la scène qu’il filmait : le chœur qu’on entendait off est là, les coulisses hors-champ se dévoilent, leur révélation coïncide avec la révélation reçue par Don Rodrigue. Car, au début comme à la fin, une même scène : attaché au mât, il prie. Au début, supplie. A la fin, remercie. Entre les deux, le miracle tant attendu qu’on n'y pensait plus a enfin eu lieu. Entre les deux, la magie du cinématographe a si bien opéré qu’on en a « oublié » que « c’était du théâtre » ; la mise en scène a tellement agi qu'on a « oublié » que c’était sur scène. Et si on l’a si bien « oublié », c’est qu’Oliveira ne s’en est jamais caché, tout au contraire. Comme le texte de Claudel, le film d’Oliveira est une truculente et admirable leçon de choses par les choses. De cinéma par le théâtre. D’images par la peinture. De mise en scène par le texte. De rigueur par la curiosité.
" ... Dans la troisième partie — le film suit un mouvement du statique au chaos, du corps droit au corps disloqué, du silence qui entoure l
" ... Dans la troisième partie — le film suit un mouvement du statique au chaos, du corps droit au corps disloqué, du silence qui entoure les mots au grincement perpétuel — une fois Prouhèze morte, Don Rodrigue ne connaît pas de femme au loin mais à ses côtés (Sept-Epées, l’actrice qui se fait passer pour la Reine), il n’est plus habité par des images mais il en peint.
Les deux premières parties, les plus cohérentes et les plus belles, retracent le parcours tortueux et douloureux de la passion tel qu’Oliveira sait le mettre en scène. La passion est pour lui moins ce qui se vit ou se voit (des actes et des gestes) qu’une chose qui se parle, dans le vertige du dire, l’éclatement inconsolable des lieux. La passion, pour se développer, a besoin d’un plan, de l’unité d’une scène pour trouver chaussure à son pied. A l’image du soulier de satin que Dona Prouhèze dépose avant de partir (on ne sait jamais ce qu’il deviendra), le théâtre de la rencontre est bancal, forcément boîteux, soit parce qu’elle n’a pas lieu ou qu’elle nous est masquée : la sublime rencontre de Don Rodrigue et de Dona Prouhèze sur les remparts de Mogador, unis par leurs voix, en ombres chinoises derrière un écran gonflé par le vent comme la voile d’un bateau.Les décors du film évoquent les miniatures du Moyen-Âge et le théâtre de patronage, celui de notre enfance.
Le style entier du film répond à l’art des Primitifs du cinéma, ceux d’avant Griffith, d’avant le montage alterné, ceux qui rechignaient encore à franchir le point de vue unique (de la salle) à sa multiplication possible (sur scène), n’osant pas interférer entre les personnages ni nous montrer, par le relais du plan subjectif, ce que quelqu’un peut voir.
Le Soulier de satin est un film parlant entièrement réglé sur l’esthétique du muet. Chaque scène est construite autour d’un seul lieu, même si entre le premier plan (l’acteur) et l’arrière-plan (la toile peinte), les distances sont variables et infinies : les glissements de projections, les découvertes en profondeur qui permettent de passer d’un océan de baleines à une carte, d’un ange gardien à un globe. Quand un homme sur un bateau regarde à la longue vue, sur la toile peinte, un bateau au large de Mogador avec une femme et un enfant à l’intérieur, aucun autre plan n’isole ce regard mais c’est l’arrière-plan qui s’anime miraculeusement : ce bateau tiré par un fil de nylon, qui « contient » à son bord Dona Prouhèze et sa fille.
Le Soulier de satin est une dérive océanographique et céleste (le récit de la passion devient de la science-fiction, une véritable odyssée de l’espace) à l’intérieur de laquelle chaque scène est solidement ancrée, vissée autour d’un seul lieu. Tout ce qui est hors de la scène, proche ou lointain, est en revanche purement aléatoire. La série de séquences autonomes qu’égrène Le Soulier de satin, tel un vaisseau spatial perdu dans l’espace, en-dehors de son orbite narrative, semblent se dire entre elles : dans l’espace du plan ou de la séquence, vous pouvez crier, personne, dans le corps du film ne vous entendra. Quand Dona Prouhèze s’échappe de l’auberge au début du film et grimpe sur un tas d’épines, elle lâche une phrase en regardant autour d’elle (« Je suis seule »). Cette phrase ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd, celle de son ange-gardien qui, exaspéré mais pince-sans-rire, nous prend à témoin : « Elle dit qu'elle est seule ! » Elle ne voit pas que Don Rodrigue est proche mais néanmoins hors-champ, que son ange gardien est là, nous faisant face. Cette solitude a pour origine le dispositif théâtral : hors de la scène, les coulisses sont le désert de la fiction, le lieu d’où rien ne peut plus rebondir. Le dernier plan du film jette sur tout ce qui entoure le cadre du plan un éclairage sans appel (la réalité du plateau) tandis que tout le film joue à troubler les frontières entre les coulisses (la fin de tout dans le champ du théâtre) et le hors-champ (le possible rendu présent, tangible).
La scène où Rodrigue, avant de partir en Amérique, se rend à Mogador, obéit admirablement à ce mouvement. Don Rodrigue est dans une pièce du château, en présence de Don Camille. Dona Prouhèze est absente, invisible dans le plan, mais Don Rodrigue la sait non loin de là. Don Camille lui tend une lettre où Dona Prouhèze a écrit : « Je reste, vous partez ». C’est alors que Don Rodrigue hurle, l’appelle de son nom. La scène, non seulement parce que c’est la première fois qu’on entend le personnage crier son amour mais parce que la scénographie d’Oliveira, cruelle, sans pitié (le mot « prison » revient dans toutes les bouches), met en doute les possibilités de son cri.
En d’autres termes, la mise en scène du film instaure un système où on ne sait jamais comment ça communique entre la scène et les coulisses, entre le champ et le hors-champ. Qu’un personnage soit en Amérique ou dans la pièce d’à-côté, le cinéma abolit tout sentiment de distance. C’est alors que, contre toute attente, l’ombre de Dona Prouhèze, répondant à son appel, apparaît sur le mur du fond, masquée derrière un rideau. Le hors-champ, chez Oliveira, relève de l’imprévisible, de l’hétérogène absolu. Il peut signaler une actrice en train de se préparer à jouer son rôle (la mère de Don Rodrigue ratant son entrée) ou bien un personnage toujours là, présent à l’unité du récit et du champ, mais invisible. Dans Le Soulier de satin, le théâtre de la passion, la rencontre de deux sujets, relève pour Oliveira de l'infigurable.
A chaque fois, dans le tableau de la passion qu’est le plan et la scène, la représentation de l’amour est incomplète : un corps et une ombre, deux ombres, un corps présent (dans le champ) et un autre présent dans le hors-champ, deux corps enfin côte à côte (l’ultime rencontre de Dona Prouhèze et de Don Rodrigue) mais qui ne se voient pas.
Il arrive aussi qu’entre le premier plan (un acteur) et l’arrière-plan (une toile peinte) rien ne communique et que la rencontre soit impossible, à l’instar de cette scène où le bonimenteur montre la toile peinte du château où est Don Rodrigue blessé et que Dona Prouhèze, entrant en scène, le réclame mais ne le voit pas alors qu’il est là, quelque part à l’intérieur du décor qu’elle a sous les yeux.L’ultime rencontre du couple qui achève la seconde partie, d’une intensité dramatique éblouissante (il n’y a que chez Mizoguchi et Dreyer qu’on peut obtenir une telle intensité à partir du plan moyen), bouleverse toutes les données.
Au moment de partir, quand Dona Prouhèze revêt son voile funèbre, la caméra, pour la première fois, monte sur scène et, d’une légère plongée, montre ce que voit Don Rodrigue : le corps de Dona Prouhèze allongé sur la barque, s’évanouissant à ses yeux. Comme dans Gertrud, sortir d’un plan, c’est sortir d’une vie. Si partir, c’est mourir un peu, l’essentiel pour Oliveira, c’est de savoir regarder au bon moment. Chez lui, et il en va de même pour ses personnages, la passion ne naît pas d’un regard, elle commence seulement quand on se souvient d’avoir vu. Il n’est pas de plus belle définition du cinéma."
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