"Parce qu'il n'avait jamais accepté l'échec de Toute une vie (1974), son film le plus ambitieux, Claude Lelouch s'est acharné à refaire une fresque de l'histoire contemporaine, romanesque et spectaculaire. C'est Les uns et les autres ou, de 1936 à nos jours, les destinées de quatre couples (russe, français, allemand, américain) et de leur descendance, offrent à la fois des similitudes et des différences mais subissent, en somme, le même déterminisme de l'évolution historique.
Remplaçant la philosophie fumeuse de Toute une vie par des idées " généreuses ", Lelouch va sûrement, cette fois, toucher le grand public et connaître le succès commercial (...) Lelouch - et nous disons cela comme un compliment - a retrouvé la démarche simplificatrice du mélodrame pour construire son film sur les mythologies sociales et émotionnelles gravées dans la mémoire collective. Rien n'est plus significatif, à cet égard, que les épisodes français (mais, ici, entrent en jeu des souvenirs et un traumatisme personnels du cinéaste), où le Paris-music-hall de l'avant-guerre devient pour un couple juif (...) le Paris infernal de l'occupation, des persécutions antisémites et de la déportation (...) À côté de l'histoire des Meyer, les autres apparaissent plus conventionnelles mais elles obéissent à un mécanisme romanesque semblable, tout en empruntant des détails à la réalité : on peut mettre des noms célèbres sur les personnages inventés par Lelouch, du musicien de jazz américain (James Caan) et de sa fille chanteuse et vedette de cinéma brûlant sa vie (Géraldine Chaplin), du chef d'orchestre allemand compromis par le nazisme (Daniel Olbrychski), du danseur du Bolchoï (Jorge Donn) qui choisit la liberté lors d'une tournée en France.
Lelouch s'est servi de sa virtuosité technique dans le maniement de la caméra pour raconter ces destinées d'une façon très attachante, au moins dans la première moitié - presque sans dialogues - de ce film qui dure plus de trois heures. Son écriture cinématographique y est (pour les vrais amateurs du genre) l'équivalent exact de l'écriture " événementielle " des romans-feuilletons et des mélos.
Par la suite, le réalisateur se laisse emporter par son goût du brio, du spectacle pour le spectacle, trace des arabesques savantes mais narrativement " gratuites " en hommage aux comédies musicales américaines, s'emmêle dans les conflits de générations. Curieusement, lorsque la mise en scène s'emballe, le rythme du récit se ralentit, s'étire. L'apothéose finale des familles rassemblées dans un gala de l'UNICEF, retransmis en mondiovision, nous ramène au mélo flamboyant.
Il y a trop d'événements, trop de chansons, trop de musique, trop de ballets, trop de personnages, trop d'effets esthétiques dans Les uns et les autres, mais Claude Lelouch, cinéaste de la sentimentalité populaire, du romanesque aux coïncidences bien calculées possède une forme de talent qui mérite l'estime."
Jacques Siclier, 28/05/1981