" Ce comique-là relève d’un humour brutaliste, démuni et frontal qui paraît à part dans le cinéma contemporain, mais qu’on a pu croiser quand Carax nous dit Merde, plus anciennement chez Kitano ou dans certains passages de Memories of Murder de Bong Joon-ho. L’ouverture du film coréen est d’ailleurs analogue à celle de P’tit Quinquin : une bande de gamins ridiculise, à coups d’imitations outrées, le travail d’enquêteurs découvrant avec effroi les premiers cadavres d’une longue série. Le monde de P’tit Quinquin est un monde où la terreur et la bouffonnerie se regardent constamment en chiens de faïence. Entre les deux, au cœur de cette faille, il y a de la place pour un rire qui tient autant du réflexe de survie que de la conjuration du mal.
Ce comique-là ne peut advenir que dans l’ici et maintenant. Il reste profondément terrien, enraciné dans les replis du territoire (la chute de l’inspecteur, comme expulsé du trou noir du bunker). Tout trivial qu’il soit, il naît aussi de la picturalité du regard de Dumont, sa capacité à tisser du motif sans chercher d’autre matériau que ce que lui offre la matière quotidienne. Cette picturalité, le comique la perturbe mais il ne la dérègle pas. Elle continue d’essaimer dans chacun des cadres du cinéaste, s’appuyant sur les lignes de force et de pesanteur du paysage. La « scène de genre » hante constamment les films de Dumont.
Plus d’une séquence pourrait être titrée comme une toile : un monument aux morts, un drapeau, un «crieur» appelant des jeunes gens et ceux-ci montant dans une jeep et nous avons «le départ des conscrits» dans Flandres, entre autres exemples. Mais la densité, voire le hiératisme de chacun de ces éléments avait fini par nous faire croire que ces «tableaux» ne pouvaient être traités que sur un mode grave ou symbolique. Déjà cependant, les scènes de théâtre dans Camille Claudel 1915 annonçaient un certain penchant pour un carnavalesque «à la James Ensor» où le grotesque et la souffrance s’alimentent l’un l’autre.
Mais avec P’tit Quinquin, Dumont ose franchir le pas d’une truculence (...) Il n’y a qu’à voir le plaisir avec lequel il filme l’organiste de l’église, saisi d’une sorte de joie incontrôlable durant la cérémonie d’obsèques. C’est la durée de la scène qui en produit l’incongruité, exacerbant le décalage de caractère entre un petit personnage qu’on dirait sorti d’un dessin de Sempé et un groupe beaucoup plus affecté. Toute la séquence de l’église fonctionne sur un dérèglement progressif des actions de chaque individu aboutissant à une cacophonie de gestes et d’attitudes. Le trait pictural glisse ouvertement vers la caricature mais une caricature dont l’assise des traits permet de rester pleine d’empathie (...)
Le cinéma de Dumont a toujours été hanté par une galaxie d’«idiots», personnages qui tels Pharaon de Winter dans L’Humanité ou le rebouteux errant de Hors Satan vibrent sur une pulsation autre et qui au bout du chemin, irradient d’une clairvoyance qu’ils ne soupçonnaient pas. Après ce «règne des idiots»,le temps serait-il à celui des «clowns»? C’est-à-dire à des personnages moins connectés au céleste, plus ramenés aux entraves du terrien. En un certain sens, le film est paradoxalement moins léger que certaines précédentes œuvres du cinéaste qui cherchaient la voie d’une évanescence.
A cette aune du «retour sur terre», d’où viendrait l’étincelle, voire le salut ? De l’amour entre Eve et P’tit Quinquin? Mais celui-ci n’est-il pas miné par le fond de méchanceté du garçon? Des danses détraquées et des regards exorbités de Dany ? Plus personne dans ce petit monde ne semble en mesure de voir la grâce surgie de la disgrâce. Plus personne d’ailleurs ne semble en mesure de voir au-delà du nuage de brouillard mental qui nimbe le regard de chacun. On pourrait penser qu’au bout du compte, ce dérèglement bouffon ne profiterait qu’à l’insaisissable mal, le seul à toujours avoir un coup d’avance au cœur de ce petit territoire. Mais la règle de ce whodunit vernaculaire et métaphysique est précisément de sciemment brouiller par le rire la gravité du cycle de ses propres interrogations. En cela, Dumont amende Pialat. Il n’y a pas que la tristesse qui durera toujours, il y a aussi la farce. Peut-être, sans doute, durera-t-elle même un peu plus longtemps que le malheur des hommes."
Joachim Lepastier
Très déçue. De quoi faire se gausser les critiques de cinéma, mais rien à offrir au public.
French Twin Peaks!
P'tit Quiquin ou l’allégorie des sectarismes et des travers sociétaux. Magnifique, point barre.