" C'était dans un petit café-hôtel, au sud de l'Espagne. Elle avait l'air perdue, elle lui a dit qu'elle s'appelait Sarah. Il lui a fait donner une chambre, mais c'est dans la sienne qu'elle a dormi — dormi seulement — cette nuit-là. Au matin, elle avait disparu... Puis Arnold Samson a retrouvé Sarah, dans les images d'un film où elle était actrice débutante. Elle s'appelait Marie ; Sarah, c'était son rôle. Or Arnold venait justement enquêter sur les lieux de tournage, au bord de la mer, à cause de l'incendie mystérieux du grand décor construit là. Et l'équipe ne savait pas où était passée Marie, depuis l'incendie.
Le quatrième film de Maurice Dugowson ne ressemble pas aux précédents, encore qu'on y retrouve le thème de l'idée fixe, du dérapage dans l'obsession, qui sous-tendait Lily, aime-moi et F. comme Fairbanks. Les couleurs chaudes et sombres d'un coin d'Espagne devenu le bout du monde font passer Arnold « de l'autre côté du miroir ». Au milieu de cette équipe de cinéma en panne, devant ce décor calciné, ruine artificielle d'un film inachevé, l'inspecteur d'assurances ne sait plus s'il vit ou s'il rêve. Dans son costume blanc, il se raccrocha, en vain, à sa mission officielle.
Foudroyé au cœur par « Sarah », il ne pense plus qu'à elle. Les autres lui parlent de Marie, et un portrait se dessine, au gré de retours en arrière que la mise en scène de Dugowson emmêle volontairement. Les gens de cinéma ont leur propre logique, leur propre façon d'interpréter la réalité. Le puzzle-portrait de Marie n'explique pas pour autant « Sarah » à Arnold. Il la veut femme venue d'ailleurs, pour la rejoindre dans cet ailleurs.
Le cinéma, ainsi que le montre Dugowson, est un jeu dangereux où l'on ne distingue plus le vrai du faux. Et il court lui-même le risque de déconcerter les spectateurs pour se laisser aller à la fascination singulière de son film, il faut s'identifier à Arnold, accepter de ne pas « comprendre », d'être aussi paumé que l'est (remarquablement) Jacques Dutronc. La règle du jeu est fixée par le réalisateur (Heinz Bennent subtilement vampirique), par sa compagne et vedette (Lea Massari et ses humeurs ondulantes), par un comédien excentrique (Jean-Claude Brialy réinventant le stérétotype du monstre sacré), par l'étrange personnage qu'interprète Gabriel Yared. Tous se sont emparés de Marie, et c'est à travers eux que l'on voit exister Gabrielle Lazure, tantôt spontanée, tantôt manceuvrée, tantôt révoltée, tantôt douloureuse (...)
La métamorphose de Marie en Sarah en fait une sorte de magicienne cristallisant, sous la direction de Dugowson, les envoûtements d'un mythe cinématographique qui est, pour tout homme, tel Arnold, attiré par l'imaginaire, fa force irrésistible du destin."
Jacques Siclier, 02/05/1983