" Parce que c’est un film noble, Trahir est un film difficile à juger. Un film qui tire son indéniable force de son sujet même et qui sait, par moments, s’en dégager assez pour ne pas apparaître uniquement comme un film manifeste. Pour sa première mise en scène, Radu Mihaileanu a choisi un style d’écriture très sec et nerveux, minimaliste dans ses décors et ses effets, une mise en scène isolant sans cesse son héros.
Les premières séquences en sont le meilleur exemple, qui suivent avec rage les ballets affolés du poète prisonnier traçant, du bout des doigts, à s’en briser les ongles, ses poèmes sur les murs de sa cellule. Pour pouvoir tenir à nouveau un stylo, pour pouvoir espérer à nouveau être publié, le poète devra passer un compromis, un accord, avec ses geôliers. Est-ce donc cela, trahir, dans cette Roumanie communiste ?
Dans le film de Mihaileanu, la trahison est partout, et c’est ce qui le rend si poignant : un mot, un regard appuyé, une attitude trop désinvolte, et tout est rapporté à l’impitoyable Securitate. Par qui ? Tout le monde, n’importe qui, la Roumanie de ces années-là est peuplée de traîtres qui donnent leurs voisins, leurs parents, leurs amis. Pas par méchanceté ou par idéologie, mais bien pour se dédouaner eux-mêmes. L’inspecteur qui libérera George le poète pour l’enfermer dans sa trahison secrète le lui dira bien : « Nous ne vous ferons rien révéler que nous ne sachions déjà ». Pourquoi ? Parce que deux témoignages concordants d’une trahison valent mieux qu’un. Parce que, surtout, cela permet de tenir, par le chantage, celui qui nourrit ainsi les dossiers de la police politique. Le système était sans faille, sans pitié.
Le film de Radu Mihaileanu, avec les doutes permanents de son héros, est un film sans illusion sur la nature humaine qui définit le mot trahir par la non-fidélité à soi-même. Il n’y a pas de héros et pas de traître : il n’y a que des êtres à la fois traîtres et héros, selon les circonstances. Premier film aux accents fortement autobiographiques, Trahir, malgré sa rigueur, ne s’en laisse pas moins aller à quelques facilités satiriques comme les escapades de George au camp tzigane. Mais cela est bien peu et Trahir, sans être un grand film, n’en est pas moins une manière de témoignage des plus douloureuses. "
Didier Roth-Bettoni
Fantastique!