Wim Wenders — Écrit sur du temps
VIDEO | 2015, 13' | Avec Every Thing Will Be Fine, l'auteur de Paris-Texas filme la solitude d'un écrivain qu'une1
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Wim Wenders observe le travail du créateur de mode Yohji Yamamoto en traçant des parallèles entre le métier de cinéaste et celui de couturier.
Wim Wenders filme et observe le couturier japonais Yohji Yamamoto. "Dans une seule veste de Yohji, il y a toute l'histoire de la veste... Mais le plus bouleversant pour moi fut de trouver des similitudes frappantes entre nos deux métiers. Ce que j'ai filmé de son travail ne diffère pas tellement de ce que je fais, moi, sur un plateau."
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" ... Aussi, même s'ils n'avaient eu, avant le film, aucun échange personnel, le rapprochement de leurs deux noms
" ... Aussi, même s'ils n'avaient eu, avant le film, aucun échange personnel, le rapprochement de leurs deux noms paraissait aller de nature: deux créateurs, célèbres et solitaires, chacun crédité de vingt ans de recherches formelles jamais satisfaites, travaillant l'un sur l'ellipse et le non-dit, l'autre dans l'ascèse d'une ligne de plus en plus épurée. Il suffisait que le courant passe.
Et s'il est passé, c'est pour une raison très simple, que Wenders avoue en voix off, au cours du long travelling avant qui lance le film et qui nous fait parcourir un interminable boulevard périphérique (qui semble être parisien, mais qui pourrait tout aussi bien être japonais, tant les particularités urbanistiques tendent à s'annuler) : ayant acheté un jour une chemise dessinée par Yamamoto, il s'est demandé quelle grâce mystérieuse avait présidé à sa fabrication pour qu'il s'y sente aussi définitivement bien, comme si toutes les chemises portées jusqu'à présent n'avaient été que préludes à cette adéquation d'un corps et d'un tissu. Sensation qui recoupe tout à fait ce que Y.Y. déclare au cours d'un des entretiens qui ponctuent le film: « Il faut faire la vraie veste, la vraie chemise », marque d'un souci presque mallarméen de parvenir à l'absolu d'une forme - et pour ceux qui ricanent en trouvant disproportionné de sortir la grosse artillerie des classiques pour traiter de simples falbalas, rappelons que Mallarmé lui-même considérait le sujet suffisamment digne d'intérêt pour rédiger de sa blanche main d'esthète tous les textes de son bimensuel La Dernière mode en 1874.
Le courant est donc passé. Wenders a rencontré Yamamoto, l'a regardé travailler, l'a suivi à Tokyo, a découvert un artisan à sa ressemblance, à la fois globalisant et pointilliste, hors du temps et profondément conscient de 1'« ici et maintenant ». Il a retrouvé chez l'autre des interrogations communes - même si ce ne sont parfois que des banalités de créateurs -, mais surtout des références communes, entre autres ce superbe recueil de photographies anciennes (Les Hommes ? - impossible de relire les notes griffonnées dans l'obscurité) -, apprécié depuis longtemps et dans lequel Yamamoto puise comme en un livre de raison: cette jeune gitane début de siècle et son « inimitable façon de mettre les mains », ce groupe-de mineurs américains des années 30 en vêtements de travail intemporels, on les retrouvera plus tard, parmi la collection des modèles présentés, sans qu'on y trouve quelque trace d'imitation ni dans la coupe ni dans la forme; plutôt comme des équivalences, la transcription d'un état d'esprit sans autre souci d'inspiration, un peu comme un écrivain qui relirait Breton ou Char avant de se mettre au travail histoire de lancer sa voix.
C'est ainsi que Yamamoto semble travailler, en captant des images venues du grand fonds commun, sans référer à quelque nature de la femme avec ou sans majuscule, juste à la recherche d'une forme à immobiliser éphémèrement.
Il avoue d'ailleurs « travailler pour des gens qui n'existent pas », en précisant: « je suis un artisan - alors ne me parlez pas des femmes ». Ce qui n'est pas le moindre paradoxe pour un styliste voué en principe à l'exaltation de la féminité. C'est en tout cas ce qui explique le caractère désexué de ses créations (à la différence, encore une fois, d'Alaia), comme le montre le défilé de superbes petits soldats androgynes arpentant le proscenium dans leurs étranges superpositions dégradées de tissu noir (Yamamoto: « quand les choses ont une couleur, ça me rappelle des émotions, ça me trouble: quand le tissu est blanc ou naturel, je n'aime pas ça »).
On peut mal supporter cette ascèse, trouver qu'apparemment les corps n'exultent guère. Mais il y a une grâce indéniable, et incernable - et l'on songe à une phrase de Natsumé Sôseki dans Oreiller d'herbes: « Nulle part ailleurs on ne peut trouver de contour plus naturel, plus souple, plus évident, moins pesant. »
Se posait sans doute pour Wenders le problème de la forme filmique qui rendrait compte du travail de Yamamoto. Le « sans doute» est d'ailleurs inutile puisqu'il avoue dans son commentaire off les difficultés devant lesquelles il se trouvait: « Je fais un film monstre, travaillant sur deux langages », reconnaît-il. les deux étant l'un rigide, l'autre souple, 35 mm et vidéo, utilisés complémentairement. Et souvent Carnets de notes sur vêtements et villes se présente comme un hybride étrange, accolant trois supports différents, photographie, écran vidéo, pellicule, dans le même plan, comme les photogrammes reproduits ici le montrent.
Ce collage était sans doute nécessaire pour offrir une résonance plus forte à l'image, pour fournir un relief supplémentaire aux éléments qui sont les points de passage obligés d'un tel portrait : entretien, travail d'atelier, présentation des collections, aller-retour Beaubourg-Tokyo, et on recommence. Ce n'est pas là le plus dérangeant. L'ennui, c'est que si l'on voit bien Yamamoto parler, et si on l'écoute, car il dit constamment des choses intéressantes, on ne le voit que peu, ou mal, travailler. Le recours à la vidéo, censée la mieux à même de capturer le vrai à sa source, dès qu'il dessine, taille, coupe, rectifie ou redresse, produit ce curieux paradoxe qu'on a l'impression, l’œil trop près de la cible, de ne saisir que des gestes sans objet: on ne voit plus que la main, il manque la distance pour apprécier la fonction. C'est flagrant lorsqu'au détour d'une séquence, on voit Yamamoto reprendre un modèle, tourner autour du mannequin, l'attaquer positivement à coups de ciseaux, taillant et découpant d'abondance: le visage réfléchi, la main, l'instrument vif comme l'éclair, tout y est, sauf le résultat obtenu; on ne voit vraiment la robe ni avant, ni après. Certes, ce qui compte, c'est le mystère du geste créateur. Mais on en sort désappointé, le mystère demeurant entier, comme si l'on filmait le seul geste dans l'espace d'un peintre calligraphe sans montrer le dessin tracé par le pinceau. La remarque est la même lorsque Yamamoto présente sa collection: tout est filmé de loin, derrière le public; si l'on n'est pas déjà familiarisé avec les formes habituelles du styliste, on ne distingue guère dans la succession des modèles qu'une chorégraphie monocolore réitérative.
Certes, une présentation, c'est égaIement cela - le brouhaha, la précipitation, l'impression que tout va trop vite. Mais on regrette un peu les filmages planplan des Actualités Gaumont, cadrant à ras du tapis les collections Fath ou Lanvin-Castillo dans les années cinquante. Au moins on en avait plein les yeux. Mais tout était dans le postulat : Wenders précisait dès l'abord avoir voulu faire un film non pas « sur Yohji Yamamoto» mais « avec Y.Y. ».
Effectivement, Yamamoto est toujours à l'image. On aurait souhaité que ses créations y fussent également. Mais on ne peut tout avoir en soixante-dix-neuf minutes. En l'état, il reste un témoignage passionnant, à la première personne, sur deux créateurs.
Car l'effet miroir a fonctionné pleinement. Les questions que Wenders pose à Yamamoto - « Tu n'as pas peur qu'on te vole ton langage? » sont transparentes, écho d'une inquiétude véritable d'un cinéaste, assailli désormais par trop d'épigones pour ne pas avoir de problèmes d'identité.
Transparent aussi son commentaire du style de Yamamoto: « Le style devient un cabinet de miroirs où l'on ne peut que s'imiter. Pour être un auteur, il faut être le gardien de cette prison et pas son prisonnier.»
" Le meilleur, c'est la dernière partie du film où Wenders, à force de vouloir élever le débat c
" Le meilleur, c'est la dernière partie du film où Wenders, à force de vouloir élever le débat comme s'il redoutait constamment de tomber dans des histoires de chiffons déshonorantes, finit par mettre le doigt sur la seule chose qui, en fait, lui importe : son statut d'auteur. La réflexion se joue alors, enfin, et ses réponses à Wenders (sur le caractère unique de toute création, sur l'enfermement dans un style : se voir non comme prisonnier mais comme gardien de sa propre forteresse) rendent le film attachant en cernant l'image d'un cinéaste encombré par le sens moral et la valeur artistique de son rôle d'auteur."
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