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PAST LIVES VS LA LA LAND
Déconstruire la comédie romantique

C’est bien connu : les histoires d’amour finissent mal (en général). Et même si ce n’est pas exactement le cas de Past Lives : Nos vies d'avant et de La La Land, les films de Celine Song et de Damien Chazelle explorent d’autres voies que celle du traditionnel happy end, dans lequel le couple triomphe de tous les obstacles pour finir ensemble, vivre heureux et avoir beaucoup d’enfants.

Qu’il s’agisse de Mia et Sebastian, aspirants artistes voulant réussir à Los Angeles ou des anciens amoureux d’enfance coréens Nora et Hae Sung qui se retrouvent 24 ans plus tard à New York, tous vécurent heureux certes, mais séparément. À l’occasion de l’arrivée de Past Lives : Nos vies d'avant sur UniversCiné, retour sur deux films qui déconstruisent la comédie romantique, pour la rendre plus réaliste.


Chazelle VS Song

Le troisième long-métrage de Damien Chazelle embrasse sans complexe les tropes de la comédie musicale hollywoodienne, à grands renforts de costumes colorés, de décors chatoyants et de chorégraphies déployées dans un Los Angeles onirique et idéalisé. Porté par un casting prestigieux (Emma Stone et Ryan Gosling, en couple pour la troisième fois au cinéma), La La Land est le film de tous les records, décrochant 7 Golden Globes sur 7 nominations et 6 Oscars sur 14 nominations.

À l’opposé de cette production hollywoodienne, le premier film de Celine Song, inspiré de sa propre vie, est un projet plus modeste et personnel, produit par le désormais incontournable studio indépendant américain A24 (Everything Everywhere All at Once, La Zone d'intérêt, Midsommar...). Tourné dans des décors naturels et réalistes (principalement à Séoul et New York), Past Lives réunit un casting moins connu : Greta Lee (second rôle dans les séries Russian Doll et The Morning Show), Teo Yoo (vu dans Leto) et John Magaro (Cookie dans le génial First Cow de Kelly Reichardt). Malgré deux nominations aux Oscars (Meilleur film et meilleur scénario original) et 5 nominations aux Golden Globes, Past Lives est revenu bredouille des deux grandes cérémonies américaines mais a bénéficié d’un succès à la fois public et critique.

Si La La Land met en musique et en chansons l’histoire d’amour de ses protagonistes, Past Lives joue a contrario sur les silences, les non-dits, l’absence. Malgré leur opposition formelle, les deux films traitent de la même thématique : les histoires d’amour vouées à l’échec, déjouant chacun à sa manière, les traditionnelles attentes de la comédie romantique.

Déconstruire l’histoire parfaite

À partir de la première rencontre de Mia et Sebastian, qui se résume à des coups de klaxon et un doigt d’honneur sur une autoroute, Damien Chazelle prend tout son temps pour dérouler les grandes étapes de la comédie romantique. Les personnages ne cessent de se croiser, s’évitent, se détestent cordialement (leur premier numéro musical ensemble est une anti-chanson d'amour). Quarante minutes après le début du film, Mia se décide enfin à quitter de manière théâtrale un dîner avec son ennuyeux compagnon pour courir retrouver Sebastian au cinéma pour leur premier rendez-vous. Après une tentative ratée (la pellicule de La Fureur de vivre brûle, interrompant la projection), leur premier baiser a lieu au bout d’une heure de film, dans une scène magique, dans le cadre exceptionnel de l’Observatoire Griffith, vide. Après cette longue mise en place, Chazelle accélère son récit et égrène les étapes, moins roses, de la vie de couple, la routine, puis l’éloignement et les disputes, jusqu’à la rupture.

À l'inverse, Celine Song ne s’embarrasse pas de ces moments attendus. Quand Chazelle découpe son film en quatre saisons consécutives, Song se permet des ellipses de douze ans. On quitte les jeunes Hae Sung et Na Young lorsque cette dernière émigre de Corée pour le Canada avec sa famille. On la retrouve douze ans plus tard, sous le nom de Nora,  alors qu’elle vit à New York. Jeune autrice, elle renoue avec Hae Sung, son ancien amour platonique adolescent via Skype, avant de couper les ponts quelques semaines face à l'idylle qui s’annonce, pour partir en résidence d’artistes et se consacrer à sa carrière. Cut. Douze ans plus tard, un simple passage à la douane nous apprend son mariage avec Arthur, un auteur qu’elle a rencontré lors de cette résidence douze ans plus tôt. C’est le moment que choisit Hae Sung, récemment séparé, pour reprendre contact avec elle.

Celine Song remonte le temps pour distiller quelques étapes de l’histoire d’amour entre Nora et Arthur, de leur rencontre à des moments banals de leur vie quotidienne. Conscient d'être "la personne de trop" de ce triangle, Arthur reconnaît que l’histoire qui lie Nora et Hae Sung est parfaite : un vrai scénario de comédie romantique. Et pourtant, Arthur ne tombe pas dans l’archétype du mari jaloux, soutenant Nora et rencontrant lui-même Hae Sung avec elle.

Dans La La Land, le mari de Mia, qu’on aperçoit en fin de film sans même connaître son nom, fait figure quant à lui d’antagoniste, pour la simple et bonne raison qu’il n’est pas Sebastian, dont on a vu la relation avec Mia évoluer tout au long du récit. En donnant autant d’importance au personnage d’Arthur, Celine Song évite cet écueil et interroge la notion de grand amour, poncif de la comédie romantique.

"Et si ?"

Les interrogations du mari de Nora sont légitimes : Arthur questionne la somme de hasards, de décisions insignifiantes et de non-événements menant à la rencontre et à la relation entre deux personnes. Et si Nora n’avait pas quitté la Corée ? Et si l’un d’eux n’avait pas assisté à cette résidence ? Et si Nora y avait rencontré quelqu’un d’autre ? Et si…? La réponse de Nora est aussi arbitraire que les conditions de la rencontre : “C’est ma vie, et c’est avec toi que je la vis”.

Damien Chazelle, lui, répond littéralement à ces questions, en mettant en images (et en musique) un futur alternatif dans lequel Mia et Sebastian ne se sont pas séparés. Alors que l’ancien couple se croise par hasard dans le club de jazz de Sebastian, les 7 minutes finales de La La Land déroulent les souvenirs d’une vie et d’une histoire qui n’ont pas eu lieu, 7 minutes durant lesquelles le film donne au public exactement ce qu’il attendait : et si Mia et Sebastian étaient restés ensemble ? Dans cette relation alternative, ils vivent heureux, ont un enfant, et des carrières moins brillantes.

Ultime “et si ?”, celui de Hae Sung. Seul personnage véritablement romantique de Past Lives, celui-ci s’attache au concept coréen de “ineyon”, le lien émotionnel qui unit deux personnes au cours de leurs vies passées, présentes et futures. “Et si cette vie était une de nos vies antérieures, et qu’on était autre chose l’un pour l’autre dans notre prochaine vie ?” Mais si les interrogations de Hae Sung suivent ce concept selon lequel rien n’est dû au hasard, Nora, plus pragmatique, plaisante sur le fait qu’elle utilise l’idée de “ineyon” pour séduire Arthur lors de leur première rencontre.

Aux idéaux romantiques (ceux des personnages, mais aussi ceux des spectateurs), forgés par la fiction, les deux films opposent le temps qui passe, la désynchronisation du couple (Mia et Sebastian suivent deux trajectoires contraires dans leur carrière, Nora et Hae Sung sont séparés par deux cultures, deux continents et deux fuseaux horaires différents), le renoncement, les histoires et les rencontres qui nous échappent.

Malgré leur opposition formelle, La La Land et Past Lives partagent une scène finale forte, celle d’un adieu entre leurs protagonistes, un échange de regards qui en disent long et renferment toute la potentialité d’une relation fantasmée et plus généralement de tropes dont Celine Song et Damien Chazelle nous invitent à faire le deuil.

© Images tous droits réservés : Past Lives, Nos Vies d'avant : ARP Selection, La La Land:  SND.

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