Avec une branche trempée dans un pot d’huile de vidange, le petit René Allio s’était amusé à badigeonner la porte bleue du garage de son grand-père. C’était sale et laid : on l’avait puni. Lui avait éprouvé un plaisir immense et trouvait ça beau ! « C’est sans doute pour cela, expliqua le réalisateur, que j’ai tant aimé les encres, les plumes, les bâtons et les brosses. Pour reconquérir le droit et le plaisir de faire des taches. »
A Marseille, où il grandit, René Allio croit à sa vocation de peintre. II réalise des toiles de plus en plus grandes. Certaines sont immenses et disposées de façon que le visiteur, environné par elles, en ressente le mouvement. Tout naturellement, Allio, alors, se tourne vers le théâtre : il crée des décors, des costumes, invente des dispositifs scéniques. Monté à Paris, il collabore plusieurs fois avec Roger Planchon : Paolo Paoli, Georges Dandin, La Remise...
1964 : premier long métrage. Librement adapté de Brecht, La Vieille Dame indigne impressionne la critique et le public : à la mort de son mari, Mme Bertini, après soixante ans de vie recluse, découvre la liberté. Elle, qui pourtant y vivait, visite Marseille pour la première fois ! Elle flâne. Noue des amitiés. Se permet des « folies » : manger au restaurant, s’acheter une 2 CV pour partir en vacances ! Elle fait scandale.
René Allio ne cessera jamais de peindre et de créer des décors (surtout pour l’Opéra), mais avec le cinéma, art « populaire », il espère toucher un large public. Car Allio est un homme de gauche. Il croit aux vertus d’un « certain cinéma », libérateur et non plus aliénant. Il dénonce le règne du fric et de l’apparence. Il débusque, dans notre vie ordinaire, ce qu’il y a de factice : L’Une et l'Autre (1967), Pierre et Paul (1969), Rude Journée pour la reine (1973)... La reine? Simone Signoret, une femme de ménage qui rêve sa vie à la façon des romans-photos et de la presse du cœur ! La critique y voit un exercice théâtral brechtien. Lui ne cherche qu’à parler de certains problèmes avec humour.
Mais, plus que l’humour, c’est la tendresse qui traverse tous ses films. Si ses personnages partent à la découverte d’eux-mêmes, c’est toujours grâce à une sœur, à un ami... Allio privilégie les rencontres. Et, s’il se tourne vers le cinéma, n’est-ce pas pour confronter son travail avec celui de toute une équipe ? La vie, pour lui, ressemble à un réseau. Réseau d’amitiés, de relations, d’échanges. A l’image, labyrinthique, de Marseille, sa ville natale, qu’il aime tant filmer. Ruelles, escaliers baignés de soleil, arrière-cours, vues sur le port (il y a toujours, avec Allio, une évasion possible, une liberté à la portée de la main) : ce sont tous ces lieux de passage qui font le prix, dans les années 80, de Retour à Marseille, L’Heure exquise (documentaire autobiographique) ou Le Matelot 512 (tourné dans des décors peints et volontairement théâtraux).
De façon plus didactique, mais non moins belle, René Allio se plonge dans l’histoire. Les Camisards(1970), Moi, Pierre Rivière... (1976), d’après un fait divers du XIXe siècle retrouvé par Michel Foucault, Un médecin des Lumières (1988) et Transit (1990) décrivent la lutte des hommes avec leur siècle. Toujours, René Allio reste peintre dans l’âme. Certaines scènes de ses films rappellent des tableaux de Goya, Le Nain ou La Tour. Mais, plus que la ressemblance esthétique, c’est le tracé qui compte. La manière. A la fin de sa vie, il l’avouait, son modèle, c’était Cézanne. Pour son entêtement. Sa façon de toujours tout remettre en question.
Dépeindre, comme il le faisait, les « petites gens du peuple », c’était s’approcher de l’élan naturaliste d’un Courbet. S’attacher au détail avec tant de précision, c’était retrouver le regard de Chardin. « Pas pour limiter, mais pour montrer des objets qui jouent le même rôle que dans sa peinture : ils contribuent à décrire ceux qui les manipulent ; ils les révèlent. »
Et l’on se demande si tout René Allio n’est pas dans un de ces objets dont il aimait se rappeler, comme ça, en passant, l’air de rien. Souvenir d’une casserole en émail bleu, pleine de tisane de tilleul sucrée, où chacun pouvait boire à tout moment, comme il le voulait, pour étancher sa soif les jours de grande chaleur à Marseille.
Philippe Piazzo