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Une femme enceinte répond à l'annonce d'une clinique proposant des soins gratuits aux femmes enceintes, mais se fait voler son bébé après l'accouchement...
Pérou, au plus fort de la crise politique des années 1980. Georgina attend son premier enfant. Sans ressources, elle répond à l’annonce d’une clinique qui propose des soins gratuits aux femmes enceintes. Mais après l’accouchement, on refuse de lui dire où est son bébé. Déterminée à retrouver sa fille, elle sollicite l’aide du journaliste Pedro Campos qui accepte de mener l’enquête. Après avoir été sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2019, Canción sin nombre a reçu le prix du meilleur film et celui de la meilleure photographie au Festival International du film de Stockholm.
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"La moitié de l’année 2020 est presque achevée, et l’édition 2019 du festival de Cannes continue de hanter le paysage cinématographique mond
"La moitié de l’année 2020 est presque achevée, et l’édition 2019 du festival de Cannes continue de hanter le paysage cinématographique mondial. La qualité de cette édition n’a donc pas encore fini de révéler ses merveilles, après deux mois de trêve et de sevrage de cinéma en salle pour cause de crise sanitaire. La reprise de l’exploitation dans les salles de cinéma est l’occasion de découvrir enfin Cancion sin nombre de la péruvienne Mélina Léon. Ce premier film avait été programmé l’an dernier à la Quinzaine des réalisateurs, et restait jusqu’alors inédit en France. La force de ce premier film est avant tout la rencontre d’une grande exigence formelle, mais aussi le développement d’une histoire, très personnelle, et passionnante, au cœur des années 1980 au Pérou.
L’introduction est déjà une surprise : sur une très belle photographie en noir et blanc, on voit défiler des panneaux d’information rappelant la situation politique et sociologique du Pérou en 1988, date choisie par Mélina Léon pour son récit. Aucun son ni musique ne viennent souligner ce qui se déroule à l’écran. On en vient presque à se demander si l’on est pas confronté à un film muet, ou à défaut sonore, et cette impression demeurera tout au long du film.
En effet, la mise en scène de l’autrice aurait pu s’apparenter à l’époque du muet. Peu verbeux, utilisant l’image comme axe central de sa grammaire, elle aurait presque pu se passer de dialogues, concentrant son attention et son regard sur les corps, les visages, rythmant le film avec une grâce qui (dès son début) interpelle. Si bien souvent les critiques se concentrent sur le scénario, oubliant que le cinéma est avant tout une grammaire fondée sur l’image et le mouvement, Mélina Léon tient son projet et son style avec beaucoup de cohérence. Ses choix portent tous la marque d’une réalisatrice qui développe sa voix sans essayer de grimer qui que ce soit. Si elle est diplômée de Columbia en cinéma, elle ne choisit pas de raconter son histoire à la manière d’un film étasunien. Elle affirme sa propre singularité, et le parfum de drame de son film prend à la gorge dès les premiers instants.
Le choix du sujet est éminemment personnel ! le père de la réalisatrice fut le journaliste qui porta cette histoire d’enlèvement d’enfants sur la place publique. Mais au delà de cela, il faut saluer la manière dont est développée cette histoire. La galerie de personnages décrite permet de radiographier avec beaucoup de précision la société péruvienne de la fin des années 1980. Chaque scène sonne comme un affrontement : les très pauvres d’origine indienne dénués de ressources et presque d’identité, la bureaucratie en crise qui peine à se justifier face à sa population aux abois, et un occident lointain qui pille ce pays d’Amérique du sud sans se préoccuper des conséquences.
Les leviers de pouvoirs et les couches de discriminations semblent se superposer pour décrire une verticalité dans les rapports de force qui n’épargnent personne. Le journaliste, de classe moyenne, installé et respecté, qui prend fait et cause pour Georgina qui vient de se faire voler son bébé, est lui aussi victime de pressions et d’une homophobie rampante qui se réveille dès qu’il essaye de faire bouger le système.
L’alliance du langage et du sujet, de l’image et de l’histoire, accouche d’une œuvre sensible et sublime qui dresse des tableaux d’un monde qui semble avoir échappé au temps. Le choix du noir et blanc permet de renforcer ce sentiment. On a beau avoir une date précise pour s’inscrire dans une continuité historique, l’impression d’intemporalité du récit est forte et vivace.
Cancion sin nombre est une illustration de la lutte des classes qui demeure plus que jamais une réalité pour des populations qui servent encore de réservoirs à un occident qui les consomment comme des biens ou des produits. Comment ne pas être déchiré devant ce dialogue ou un juge cynique déclare que de toute façon ces mères dépossédées de leur enfant n’auraient rien eu à leur offrir, et qu’ils sont mieux là où ils sont désormais. La condescendance et l’horreur de tels propos, face à la dignité et la majesté des personnages de Georgina ou de Léo, révoltent et glacent le sans tout à la fois.
Avec de premier très beau film, réussi dans tous ses aspects, comme un très bel objet de cinéma, Mélina Léon permet de faire résonner fort et haut la voix de son pays. Son dernier plan, resserré autour d’un visage et d’une tristesse qui ne pourra se résorber, est un cri du cœur qui ne saurait laissé indifférent. Cancion sin nombre est une de ces belles surprises qui nous font nous rappeler pourquoi le cinéma nous a tant manqué."
"(...) D’un point de vue sociologique, Canción sin nombre embrasse plusieurs thèmes par évocation. Le Sentier lumineux, bien présent, n’est
"(...) D’un point de vue sociologique, Canción sin nombre embrasse plusieurs thèmes par évocation. Le Sentier lumineux, bien présent, n’est pas nommé, mais sert de trame de fond. Il ajoute à l’angoisse que crée l’intrigue première, celle de la perte de l’enfant. On sent aussi des émeutes gronder, dans Lima, sans certitude quant à ce qu’il se passe. Au creux de la montagne, les militaires apparaissent, très inquiétants eux aussi, des cadavres à leurs pieds.
Quant au sort des peuples andins, Quechua en l’occurrence, il est montré dans toute son injustice, mais sans effet superflu : c’est ici un commissariat de police désincarné, qui peine à accorder crédit - ou importance - au récit désespéré du couple, là une secrétaire incapable de fournir des dossiers utiles. Quand le journaliste prend le relais de l’enquête, s’adressant à des instances juridiques, il n’obtient guère mieux, tout au plus des mises en garde assorties d’appel « au bon sens » : « Leur vraie mère n’a pas grand-chose à leur offrir, de toute façon », décrète l’un de ses interlocuteurs.
La façon de filmer les lieux confirme le propos : la clinique privée écrase le visiteur, la salle d’accouchement semble n’être qu’un couloir sombre. Les palais de justice tendent vers le ciel leurs murs hermétiques. Pas de refuge, le village de Georgina devient peu à peu lui-même une abstraction, on le sentirait presque déjà disparaître à mesure que les protagonistes sombrent dans la douleur.Pamela Mendoza incarne d’ailleurs cette mater dolorosa, Georgina, avec une force et une ampleur saluée par tous. L’actrice a pris plus de quinze kilos pour jouer le rôle, allant même au-delà du souhait de la réalisatrice. Difficile de songer que la jeune femme dévastée, à l’avenir trouble, est en réalité dans la vie une fringante étudiante en anthropologie. Quant à Tommy Párraga, mystérieux, il donne au journaliste une raideur certaine, bien vue, laissant à peine percer son empathie envers Georgina. L’homme est sous contrôle, à l’image de la société péruvienne, muselée en ces années sombres. Dans ce monde-là, où l’on a souvent plus à perdre qu’à gagner, l’ombre s’impose. Il est des drames comme des précipices au bord desquels les mots s’arrêtent. Alors le cinéma prend le relais et entonne un chant mélancolique pour les enfants absents, les sociétés malades. Canción sin nombre est de ce cinéma."
"(...) Inspirée par une affaire de trafic d’enfants sur laquelle son père, journaliste, a travaillé, Melina León signe un premier long en no
"(...) Inspirée par une affaire de trafic d’enfants sur laquelle son père, journaliste, a travaillé, Melina León signe un premier long en noir et blanc rude, poétique et sublime, qui nous immerge dans la réalité politico-historique d’un pays miné par la misère sociale, le conservatisme, et la violence du mouvement révolutionnaire du Sentier Lumineux, né dans les années 1970 d’une dissidence d’un des partis communistes péruviens et passé à la lutte armée insurrectionnelle au début de la décennie suivante.
Cette atmosphère suffocante trouve écho dans la manière qu’a la cinéaste de composer avec l’espace – comme dans cette scène dans laquelle elle filme en plongée cette mère triste, parcourant le couloir interminable du palais de justice ; ou, avec des plans fixes, attirant notre regard sur les pentes de sables escarpées et désolées de la région pauvre des Andes où habitent Georgina et son époux. Cette implacable mise en scène fait ressortir tout un monde de désenchantements – ce que semble justement chanter dans une douce berceuse l’héroïne dans une scène finale à couper le souffle."
"(...) le corps libre, dans Canción sin nombre, est toujours un corps étranger (le voisin cubain de Pedro) ou un corps complice de la violen
"(...) le corps libre, dans Canción sin nombre, est toujours un corps étranger (le voisin cubain de Pedro) ou un corps complice de la violence (Léo, embrigadé par des militants du Sentier Lumineux). Pour résister à l’aliénation ou à l’écrasement, semble nous dire le film, il ne reste plus qu’à se fier aux mots : prendre et recueillir la parole, dans une société qui tente par tous les moyens de l’étouffer. Autour du cri lancé par Georgina dans la salle de rédaction (« On m’a volé ma fille ! »), seul moment du film où la jeune femme semble trouver un véritable interlocuteur, Canción sin nombre est habité par une parole asymétrique, détournée ou empêchée. La discussion qu’entame Pedro avec un juge reste inachevée, alors que le corps de ce dernier disparaît hors-champ, protégé par la présence d’un soldat qui empêche le journaliste de le suivre. Quand Léo intègre le Sentier Lumineux, sa récupération et les discussions qui s’ensuivent prennent une forme implicite ou inachevée, évoquant seulement à mots couverts des « missions » et des « réunions ». Que ce soit du côté du pouvoir ou de la dissidence, tout s’exprime à demi-mot et semble flotter dans une imprécision et une absurdité kafkaïennes.
Dans sa simplicité et son refus du pathos, Canción sin nombre s’approche finalement davantage de la fable ou de la parabole que du film-dossier ou du mélo démonstratif. La parole qui se déploie et qui subsiste, à la fin du film, n’est pas un cri de rage, mais une simple berceuse, chantée à voix basse par une Georgina qui, pour la première fois, surplombe le décor. Une berceuse adressée à un enfant sans nom, chantée face à un océan dont le mouvement imperturbable semble à la fois rejouer et mettre à distance les souffrances répétées qu’a subies le personnage. Un rite intime, presque secret, qui résume assez bien ce premier long métrage, sa poésie et sa douceur, mais aussi la puissance politique qui se déploie discrètement dans les interstices d’un quotidien tragiquement banal."
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