"Lors de sa présentation en compétition officielle à Cannes, et de la sortie en salles qui a suivi, Les Triplettes de Belleville avait fait sensation. Succès critique, succès public, le film réconciliait l'animation française avec une haute idée du cinéma populaire, autour d'une histoire totalement loufoque. Six ans après la sortie, l'effet de surprise est passé. Les Triplettes de Belleville est presque devenu un classique, et l'univers de brocanteur éclairé déployé par Sylvain Chomet autour du jazz, du cinéma, du vélo et des années 1950 finissantes, une marque déposée. Mais le film reste toujours aussi stimulant. Cela tient à l'inventivité foisonnante d'un récit sans paroles qui avance à coup de petits gags à retardement. D'abord une situation absurde, qui vaut pour elle-même : madame Souza, par exemple, fraîchement débarquée à Belleville, découvre, médusée, les coutumes de ses nouvelles amies qui lui interdisent de se servir du réfrigérateur, de l'aspirateur, ou même de toucher au journal. L'explication arrive quelques scènes plus tard, à contre-temps : sur la scène du cabaret où les trois vieilles jouent tous les soirs, on retrouve le réfrigérateur, l'aspirateur, et le journal détournés de leur fonction, transformés en instruments de musique pour les besoins de leur spectacle."
"La musicalité du film, ses rimes visuelles, son rythme syncopé, presque free jazz, sont pour beaucoup dans sa réussite. Mais ce qui frappe, c'est cette manière inédite, très moderne (en dépit de l'aspect rétro du film) dont Sylvain Chomet produit du neuf avec du vieux. A partir de blocs de mémoire historique et cinématographique, l'auteur invente toutes sortes de dispositifs délirants. Ainsi, la machine infernale à laquelle les mafieux attachent leurs cyclistes utilise l'énergie de leurs mouvements pour faire défiler devant eux des images en prises de vues réelles, filmées par une caméra avançant sur une route de campagne déserte. Le cinéma traditionnel apparaît ici comme une illusion cruelle, l'animation comme sa planche de salut."
Isabelle Regnier
Un bonheur au style original et cocace !