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Coup de cœur :
Ninjababy

Après Women In Oversized Men’s Shirts (2015), la réalisatrice norvégienne Yngvild Sve Flikke brosse un nouveau portrait féminin avec Ninjababy, qui a remporté le Prix du public au Festival d’Angers et la mention spéciale dans la section Generation 14plus à la Berlinale de 2021. Adapté du roman graphique d’Inda H. Saetre, directrice de l’animation pour le film, son deuxième long métrage mêle animation et prise de vues réelles pour venir tordre le cou aux diktats de la maternité, en se plaçant au centre d’un bouleversement dans une vie de femme : une grossesse bien loin d’être désirée.


On n’est pas sérieux quand on a 17 ans… Et  23 non plus ! Meilleure amie bordélique, petite sœur déroutée, coup d’un soir improvisé : Rakel a bel et bien embarqué pour le long fleuve intranquille de la vingtaine. Glandeuse fauchée accro au jus d’orange, elle entasse ses rêves et ses désillusions sous ses piles de dessins et de vêtements sales, remettant au lendemain ses projets et ses décisions. Jusqu’au jour où, du bout de ses seins gonflés et de son ventre arrondi, le souvenir embrumé de ses trois aventures de l’été lui revient droit dans le nombril… À trois mois du terme. 


© MOTLYS, 2021. TOUS DROITS RÉSERVÉS

Trois mois. Une parenthèse décisive, sans échappatoire possible, dans laquelle la réalisatrice suit l’errance de cette jeune femme prochainement mère, sans aucun désir de l’être. Une odyssée éclair, dans laquelle elle trimballe ses états d'âme et de corps. Dans ses pérégrinations émotionnelles, entre naissance d’une romance et recherche du géniteur, l’idée de l’adoption fait surgir Ninjababy, figuration sarcastique et animée de son fœtus, dans sa vie. À l’image du récent Tout le monde aime Jeanne de Céline Devaux, Yngvild Sve Flikke fait de l’animation un outil sensible pour illustrer le maelström mental de Rakel, et personnifier les états contradictoires qui la traversent depuis la nouvelle. Mêlant les techniques comme les genres dans les dialogues entre sa protagoniste et l’illustration de son futur enfant, la réalisatrice formule une dramédie sur le déni de grossesse. Ancrant son récit dans la peau d’une femme trahie par son propre organisme, elle fait de Rakel un personnage pris au piège, perdant progressivement le contrôle sur son corps. C’est aussi une perte de contrôle sur sa vie et son avenir, qui se prolonge dans le cadre où, bousculée du champ au hors-champ et parasitée par les interventions de Ninjababy, elle ne trouve plus sa place. 

 

 


© MOTLYS, 2021. TOUS DROITS RÉSERVÉS

Une place, celle d’une féminité affranchie de tous diktats, que la réalisatrice entend reconstruire. Bravant les tabous, la réalisatrice fait ainsi de son odyssée un pamphlet féministe et libertaire, faisant voler en éclat l’évidence de l’instinct maternel. Le film se défait des injonctions sociales en redonnant pleinement le choix du désir d’être mère à sa protagoniste, sans poser ni question, ni jugement sur sa décision finale. Et, dans cet élan, dans la figuration d’une femme on ne peut plus dans l’ère du temps, c’est l’ensemble de l’univers de Rakel qui se veut profondément moderne, autant dans sa conception de l’amitié, de l’amour que de la famille. Avec un “female gaze” assumé, la réalisatrice aborde sans pincette le désir féminin, la contraception, et la grossesse, pour créer une anti-héroïne réaliste, portée par l’interprétation vive de Kristine Kujath Thorp. Dans sa représentation d’un personnage féminin en marge, dans sa déconstruction des stéréotypes, Ninja Baby s’installe dans la lignée des récents Julie (En 12 chapitres) et The Lost Daughter, qui ouvrent la porte à la normalisation de représentations de femmes contemporaines et libres, dans l’espoir d’aboutir à “une société plus tolérante et plus diverse” pour Yngvild Sve Flikke. 

 

Lucille DUTHOIT

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