Inspiré par les grands maîtres américains du suspens et de l’angoisse, l’espagnol Alejandro Amenábar a exploré cette veine avec une maîtrise et une élégance qui culmine dans Les Autres, avec Nicole Kidman. Ses derniers films s’ouvrent à d’autres horizons.
Né au Chili, en 1972, Alejandro Amenábar n’a qu’un an lorsque sa famille fuit la dictature de Pinochet et s’installe à Madrid. C’est là qu’il grandit, fait ses études de cinéma, réalise des courts-métrages puis son premier long-métrage, à l’âge de 24 ans.
Une précocité qui bluffe si l’on songe à la qualité de Tesis, ce premier film, thriller où une jeune étudiante en cinéma (Ana Torrent, qui, 20 ans plus tôt prêtait son grand regard noir à la gosse solitaire de Cria Cuervos), se retrouve entrainée dans une angoissante affaire de trafic de snuff movies, ces films qui montrent, dit-on, des scènes de crimes et de tortures réelles, non jouées.
Vite consacré wonder-boy du cinéma ibérique, non seulement scénariste et réalisateur mais aussi compositeur (il signe la musique de tous ses films jusqu’à Mar Adentro), Alejandro Amenábar est nourri de cinéma américain. Hitchcock en tête. L’ombre de Lynch plane aussi sur ses premiers films dont le territoire est l’angoisse, l’incertitude des perceptions, la paranoïa. Ces zones grises de la conscience où se fondent imaginaire et réalité.
Dans Ouvre les yeux (1997), un jeune play-boy, défiguré par un accident de voiture, n’est plus capable de savoir s’il vit un cauchemar ou ne fait que le rêver. Le film, énorme succès en Espagne, séduit Tom cruise qui décide d’en faire un remake (Vanilla Sky) sous la direction de Cameron Crowe. Dans la foulée, Tom Cruise produit son troisième film, Les Autres (2001), interprété par l'épouse de la star à l'époque, Nicole Kidman. Dans cette histoire de fantômes, noyée dans les brumes, baignée par un sombre romantisme (avec ses recoins gothiques) anglo-saxon, Kidman, frêle, pâle, blonde, dans ses tailleurs étroits, semble une réincarnation de Grace Kelly qui déambulerait dans le manoir de Rebecca.
Après ce film élégant et efficacement angoissant, Amenábar surprend en changeant radicalement de registre : Mar Adentro (2005) s’inspire d’une histoire vraie, celle de Ramon Sampedro un homme rendu tétraplégique par un accident de jeunesse, qui se bagarra en vain pendant 4 ans pour obtenir de la justice espagnole le droit à un suicide assisté.
De ce sujet casse-gueule, à fort potentiel lacrymal, le cinéaste se tire plutôt bien et courageusement, même s’il n’évite pas un certain maquillage romanesque et poétisant. Il est aidé par la belle performance de Javier Bardem, vieilli de 20 ans dont tout le jeu se concentre sur le visage, le sourire, le regard… Toujours aussi emballée par son enfant prodige, l’Espagne décerne 14 goyas (l’équivalent espagnol des César) à ce film qui reçoit aussi, aux Etats-Unis, l’Oscar du meilleur film étranger.
Plus controversé, Agora (2009) est pour certains un échec intégral, pour d’autres un opus certes maladroit mais au moins étonnant par son sujet et son traitement : un péplum filmé à grands renforts d’effet spéciaux dont le héros est une femme, la mathématicienne, astronome et philosophe grecque Hypathie (mais oui, elle a existé) qui affronte l’obscurantisme des premiers chrétiens.
Trois suspens haletants, un mélodrame costaud, un péplum philosophique... Alejandro Amenábar est le plus éclectique des nouveaux surdoués du cinéma espagnol.
Véronique Cohen