Il échappa cependant rapidement à sa formation aristocratique et, encore plus précoce qu'Alfred Hitchcock, signa son premier long métrage, Un drame au studio (Shooting Stars) en 1927, à 25 ans. Mais c'est avec son quatrième film, A Cottage on Dartmoor (1929), qu'il s'affirme comme un des réalisateurs anglais à l'avenir le plus assuré ; à la charnière des deux époques – comme Chantage d'Hitchcock, le film sera tourné en deux versions, une muette et une sonore -, Cottage est un très bel exemple du niveau d'excellence auquel la science du montage était parvenue à cette date : brillant de tous les feux de l'écriture muette, il inaugure une narration déjà très moderne à laquelle il ne manque que la parole. Une parole qu'Asquith utilisera rapidement : en 1931, Tell England, sur le débarquement allié à Gallipoli pendant la première Guerre mondiale (Peter Weir reprendra l'événement en 1983), fait preuve d'une maîtrise étonnante chez un cinéaste aussi jeune.
On connaît mal ses autres titres d'avant-guerre (la seconde), à l'exception de Pygmalion, qu'il cosigne en 1938 avec Leslie Howard, également interprète du film, d'après la fameuse pièce de G.B. Shaw, et qui n'est pas indigne de la version qu'en réalisa George Cukor en 1964 (My Fair Lady). Les quinze années qui suivent vont constituer la partie la plus intéressante de sa carrière : il tourne beaucoup, un film par an en moyenne, et, quelques titres mis à part, aligne une série d'œuvres importantes, dont la solidité n'a pas été ébranlée par le temps.
Les trois pièces de Terence Rattigan qu'il adapte, avec l'appui du dramaturge (un des plus importants du moment), L'Écurie Watson (French Without Tears, 1939), Winslow contre le roi (The Winslow Boy, 1948), et L'Ombre d'un homme (The Browning Version, 1951), demeurent caractéristiques des qualités de l'"école anglaise" – puissance, sobriété, émotion, le dernier film surtout, dans lequel Michael Redgrave campe un inoubliable professeur rigide. Les versions que réaliseront cinquante ans plus tard Mike Figgis (Winslow, 1994) et David Mamet (Browning, 1999), n'apporteront rien de plus, sinon la couleur.
S'il est permis de demeurer indécis devant L'Homme fatal (Fanny by Gaslight, 1944, avec James Mason et Stewart Granger), mélodrame échevelé, en revanche Le Chemin des étoiles (The Way to the Stars, 1945) et sa peinture de l'escadrille anglaise au cantonnement est un des meilleurs films de guerre d'une période pourtant chargée en grands titres, comme ceux de Carol Reed ou de Michael Powell.
Asquith aborde le genre policier avec La Femme en question (The Woman in Question, 1950), d'une virtuosité narrative remarquable - un des premiers rôles importants de Dirk Bogarde, qu'il retrouvera dans The Doctor's Dilemma (1959) et La nuit est mon ennemie (Libel, 1959), de façon bien moins convaincante. Son adaptation de la pièce d'Oscar Wilde Il importe d'être constant (The Importance of Being Earnest, 1952), encore avec Michael Redgrave, extrêmement brillante, marque d'une certaine façon le sommet de son trajet. Il ne fera que rarement mieux ; son nom est devenu le symbole de la "qualité anglaise" et une autre génération de cinéastes, celle du Free Cinema, se prépare à bouleverser le paysage britannique, à la fois thématiquement et stylistiquement.
Après Carrington V.C. (1956), histoire assez sombre d'un officier (David Niven) traîné devant une cour martiale et Ordre de tuer (Order to Kill, 1958), autre histoire assez sombre sur la Résistance française, il change de catégorie et filme de lourdes machines à distribution internationale garantie.
Que dire devant Les Dessous de la millionnaire (The Millionairess, 1960, avec Sophia Loren, Peter Sellers et Vittorio De Sica), Hôtel International (The VIP's, 1963, avec Elizabeth Taylor, Richard Burton et Orson Welles) ou La Rolls-Royce jaune (The Yellow Rolls-Royce, 1964, avec Rex Harrison, Jeanne Moreau et Ingrid Bergman), sinon, en admirant l'aspect spectaculaire de la chose, regretter le talent gâché ?
Né à Londres en 1902 et disparu en 1968, toujours à Londres, Asquith aura incarné une certaine image du cinéma anglais, à la fois solide et inventive. Il a signé 37 films dont presque la moitié demeurent visibles et plaisants – et même bien plus pour certains, Le Chemin des étoiles ou L'Ombre d'un homme. C'est déjà beaucoup…
Lucien Logette