En 1936, La Belle Equipe se déroule dans l'esprit d'enthousiasme du Front Populaire. Une bande d’ouvriers chômeurs et un étranger en situation douteuse décident de réunir leurs gains à la loterie pour ouvrir une guinguette. Observateur féroce d’une utopie chaleureuse, le réalisateur multiplie les difficultés à leur encontre, notamment avec Viviane Romance qui fait tourner la tête à Jean Gabin et à Charles Vanel. Qu’importe alors la fin imposée à Duvivier (celle, pessimiste, qu'il préférait, et qu'il tourna, est parfois proposée lors des projections), Duvivier n’oublie jamais de resituer les espérances des personnages dans la plus dure des réalités.
Un
an plus tard, avec Pépé le Moko, de nouveau la figure du perdant est poussée jusqu’au mythe; Jean Gabin compose une figure impressionnante qui fait de lui une star internationale. Les décors d’Alger offrent une ambiance incroyable, le thème de la femme fatale est magnifié par les dialogues de Henri Jeanson, et l’amertume se fond dans la beauté de l’ensemble. Et puis, il y a Fréhel qui chante comme personne…
Duvivier est alors devenu l'un des cinéastes majeurs de la production française, tournant avec les stars de l'époque et choisissant ses sujets avec ecclectisme : film à sketches avec Un carnet de bal en 1937, fantastique avec La Charrette fantôme en 1939 ou, la même année, tragédie cynique avec La Fin du jour, un concentré de noirceur qui expliquerait à lui seul la vision du cinéaste, offrant aux trois acteurs les plus respectés (Jouvet, Simon, Francen) d'interpréter trois pathétiques ratés, vieux cabots sortis de scène et échoués en maison de retraite.
Son exil aux Etats-Unis, pendant la guerre, lui permet ensuite de signer des films importants (Toute la ville danse ou L’Imposteur remake de son Pépé le Moko) mais qui n'éclipsent pas ses oeuvres françaises et, de retour en France, en 1947, il revient au premier plan avec Panique, adaptation de Simenon, qui marque ses retrouvailles aussi bien avec Michel Simon et Viviane Romance qu'avec Charles Spaak au scénario, et prouve que le réalisateur n’a rien perdu de son âpreté. La description de la population qui se précipite pour lyncher un innocent résonne, au lendemain de la guerre et de l’épuration, avec une acuité particulièrement féroce.
Cinéaste international, il le prouve l’année suivante avec son Anna Karénine tourné en Grande-Bretagne pour Vivien Leigh. Mais sa verve semble bien française lorsqu'on observe la construction originale de Sous le ciel de Paris, en 1951, ou encore l’idée brillante de La Fête à Henriette l’année suivante où les héros sont les scénaristes du film... que l'on est en train de regarder.
En 1952, Julien connaît son plus gros succès populaire avec l’adaptation de l’œuvre maîtresse de Giovannino Guareschi : Le Petit monde de Don Camillo. Au-delà de l'incontournable interprétation de Fernandel, la réussite de cette comédie populaire est presque totale. Duvivier y recrée, en miniature, un monde angoissé par la situation politique d’après-guerre et en offre une vision particulièrement savoureuse.
Le dernier "grand" film de Duvivier marque une nouvelle collaboration avec Gabin : en 1956, Voici le temps des assassins est un film noir très amer et sévère en général sur la manipulation des hommes entre eux... et des femmes en particulier. Il triomphe encore avec Marie Octobre, huis clos théâtral mené par Darrieux règlant ses comptes avec ses anciens compagnons de résistance, mais le film accuse les limites de sa fabrication.
Le reste de sa carrière se fera plus anecdotique, entre une adaptation de Zola, Pot Bouille avec Gérard Philipe, une autre de Pierre Louÿs avec Bardot en 1959, La Femme et le pantin, et un retour au film à sketches jubilatoire avec Le Diable et les Dix Commandements en 1962. Duvivier s’éteindra en 1967 après avoir réalisé plus de soixante-dix films dont au moins une dizaine appartiennent au domaine des incontournables "classiques".