Liliana Cavani est née le 12 janvier 1933 en Émilie-Romagne, région d’Italie où, cinquante ans plus tôt, est né Benito Mussolini. Dix-huit jours plus tard en Allemagne, Hitler est nommé Chancelier. Les Cavani ont été résistants. A la fin de la Seconde guerre mondiale, elle n’a encore que douze ans. Au cinéma, on projette les films des réalisateurs nés au tout début du siècle. C’est l’heure du néoréalisme, c’est-à-dire d’un cinéma enregistrant/mettant en scène la dure réalité de l’après-guerre : Rome, ville ouverte en 1945 (Rossellini), Sciuscià (Vittorio De Sica), Païsa (Rossellini) en 1946, Chasse tragique (Giuseppe De Santis) et Allemagne, année zéro (Rossellini) en 1947, Le Voleur de bicyclette (Vittorio De Sica) et La terre tremble (Visconti) en 1948.
Liliana Cavani appartient à la génération suivante, celle des Bernardo Bertolucci, Marco Bellocchio, celle d’un Pier Paolo Pasolini, aussi, qui fait le lien entre les deux générations. Leurs films, réalisés à partir des années 1960, sont hantés par la mémoire du fascisme et par le sentiment de sa rémanence à l’époque contemporaine. À une époque où la psychanalyse acquiert tardivement et difficilement droit de cité en Italie, ce sont ses catégories – le refoulé, le retour du refoulé, les phénomènes de latence, traces, symptômes et crises – qui sont mobilisées par ces cinéastes pour tenter d’expliquer le passé et d’analyser le présent des « années de plomb ». En 1962, Liliana Cavani réalise un documentaire pour la télévision : La Storia del Terzo Reich (« L’Histoire du Troisième Reich »). Il s’agit d’un film de montage de quatre heures d’archives sur le Troisième Reich. D’abord diffusé sur une chaîne culturelle, le documentaire doit ensuite être diffusé sur une chaîne nationale, mais l’opposition de l’ambassade allemande empêche sa programmation. En 1965, la réalisatrice réalise un autre documentaire pour la télévision, intitulé La Donna nella Resistenza. Le film est un montage d’archives et surtout d’entretiens que Liliana Cavani a menés avec d’anciennes résistantes et partisanes.
Deux entretiens auront une profonde influence sur la réalisation de Portier de nuit. Le récit d’une ancienne partisane, déportée à Auschwitz, confirme ce que l’histoire de la diffusion du documentaire sur le Troisième Reich avait mis en évidence : la volonté quasi générale, après la guerre, et pour diverses raisons, d’enfouir profondément cette période douloureuse et honteuse. Au point que cette femme avait décidé de quitter sa famille, et quasiment, la société, pour ne pas être confrontée au déni ambiant. La même année 1965, enfin, la réalisatrice réalise un autre documentaire, Il Giorno della Pace (« le jour de la paix ») sur le thème suivant : que sait la nouvelle génération – la sienne – de la Seconde Guerre mondiale ? La réponse, pour elle, était claire : l’ignorance régnait, conséquence immédiate de la volonté d’oublier. Portier de nuit Lors de ces entretiens, une ancienne partisane, déportée à Dachau pendant trois ans, lui confie qu’elle retourne chaque été passer deux semaines sur ces lieux. « C’est la victime, interprète Liliana Cavani, plutôt que le bourreau, qui retourne sur le lieu du crime. Pourquoi ? Il faudrait sonder l’inconscient pour le savoir. » Chercher, peut-être, du côté du syndrome de Stockholm ? C’est du moins ce que semble dire Portier de nuit, que Liliana Cavani réalise en 1974.