Lorsque The Deer Hunter (Voyage au bout de l'enfer) surgit en 1978, comme un coup de tonnerre éclatant, ponctué par un Oscar du meilleur réalisateur et un du meilleur film, on crut qu'un nouveau cinéaste était né, sorti de nulle part comme un diable de sa boîte pour signer un chef-d'œuvre du Nouvel Hollywood.
En réalité, Michael Cimino, s'il n'avait qu'un court passé cinématographique, n'était pas un inconnu pour les spectateurs attentifs des films américains.
Né en 1939, le futur cinéaste a pris le temps de faire quelques études – un Master de peinture à la Yale University – et de réaliser, pour l'agence de publicité qui l'employait, quelques films publicitaires pour la télévision. Activité honorable mais qui ne présageait pas d'un avenir particulier. En tout cas, il avait des dons pour l'écriture, car les deux premiers scénarios auxquels il participe, à 33 ans, Silent Running (1972, œuvre méconnue et magnifique, signée Douglas Trumbull) et Magnum Force (1973, Ted Post), deuxième volet des aventures de l'inspecteur Harry, sont des succès – le second écrit avec John Milius, réalisateur contestable mais scénariste incontesté, et qui ne travaillait pas avec n'importe qui. Clint Eastwood/Harry Callahan, lui demande alors d'écrire pour lui un scénario et de le réaliser, honneur rare. Cimino écrit, seul, Le Canardeur (Thunderbolt and Lightfoot) et le tourne.
Lorsque le film sort en France, en septembre 1974, il surprend les amateurs : sur un argument éculé, la récupération du produit d'un braquage par deux brigands, un ancien revenu de tout et un jeune chien fou, et la lutte avec un troisième larron, le produit présente des qualités d'invention et de rythme rares dans un film de série. Le débutant ne s'était pas fait dévorer par son acteur-producteur vedette, il avait su tirer le meilleur de déjà vieux routiers comme Jeff Bridges et George Kennedy. Affaire à suivre. L'affaire suivit lentement, puisque l'œuvre suivante fut Voyage au bout de l'enfer (The Deer Hunter), que Cimino mit plusieurs années à monter (il en sera même le coproducteur). Le résultat fut à la hauteur de l'attente. Tout a été écrit sur ce chef-d'œuvre, sans doute un des films les plus représentatifs de l'époque où l'ombre de la guerre du Viêt-Nam planait sur les États-Unis – et même si la guerre n'était pas traitée comme un élément spectaculaire, mais comme le facteur des difficultés psychologiques des personnages, Cimino s'intéressant surtout à l'avant et à l'après.
Tout a été écrit sur la justesse avec laquelle étaient restituées la vie et l'atmosphère de la petite communauté d'origine russe des mineurs pennsylvaniens, sur la peinture de l'amitié des trois jeunes chasseurs de daim, sur les dégâts irréparables dus aux combats et surtout la destruction morale de toute une génération. Si, Scorsese et Coppola aidant, Robert de Niro était déjà une star, John Savage, Christopher Walken et Meryl Streep furent des découvertes pour de nombreux spectateurs. On a fait depuis plus fort, plus lourd, plus violent, plus dénonciateur. Mais le Voyage demeure un des sommets de la filmographie de la guerre vietnamienne, au même titre qu'Apocalypse Now ou Platoon.
Après un tel triomphe et les deux Oscars décrochés, Cimino avait les grands studios hollywoodiens à sa botte. C'est United Artists qui emporte le morceau et lui donne carte blanche et le contrôle total pour son film suivant, La Porte du Paradis (Heaven's Gate, 1980). Il en écrit, seul, le scénario, ce qui explique peut-être sa trop grande ambition — reconstituer trente ans de la vie de l'Amérique à la fin du XIXe siècle, y compris la guerre du comté de Johnson, était un projet gigantesque ; une équipe de scénaristes aurait permis d'éviter les chausse-trapes de la mégalomanie qui guette souvent les grands créateurs laissés à eux-mêmes, à la Stroheim. Sans point de vue critique, sans contrôle de la production, Cimino, réunissant un casting éblouissant (K. Kristofferson, C. Walken, J. Bridges, I. Huppert, J. Hurt, M. Rourke), s'engagea dans un tournage géant, compliqué par de multiples problèmes.
Attendu comme la merveille des merveilles, avec une addition de 44 millions de dollars, le film fut un naufrage, critique et public (il en rapporta moins de 4 millions), retiré de l'affiche au bout d'une semaine ; Cimino tailla lui-même dans les 225 minutes pour en faire une version plus exploitable, réduite à 2 heures et demie. Le film y perdit en clarté ce qu'il gagnait en durée et le naufrage fut confirmé – avec des conséquences immédiates : la faillite d'United Artists, et la fin de la confiance des producteurs dans les réalisateurs du Nouvel Hollywood. Il est difficile aujourd'hui de se faire une opinion, le film n'ayant pas plus de version "originale" que
Lola Montès : quoi juger, entre la version initiale (interminable), la version coupée (déséquilibrée) et la version intégrale retrouvée ? Dans la catégorie des grands films malades, La Porte du Paradis tient une place de premier rang.
Cimino mettra cinq ans avant de pouvoir revenir dans les studios, avec de nouveau un film de genre, thriller sur la Mafia chinoise new-yorkaise, scénarisé par Oliver Stone à partir d'un roman de Robert Daley. Deux noms garantissant l'intérêt, surtout avec Mickey Rourke, alors au sommet, dans le rôle principal. L'Année du Dragon (The Year of the Dragon, 1985) retrouve effectivement les qualités de l'auteur, puissance, style, efficacité et le film fut un succès, malgré les accusations de racisme "anti-jaunes" qui lui furent adressées : certes, les gangsters appartenaient à la communauté asiatique, mais Cimino n'y dénonçait pas plus une minorité ethnique que Coppola les Italiens dans Le Parrain ou De Palma les Cubains dans Scarface. C'était l'époque où le "politiquement correct" commençait à régner, et pas seulement à Hollywood. En tout cas, L'Année du Dragon est le dernier feu d'artifices tiré par le réalisateur.
Le Sicilien (The Sicilian), tourné presque immédiatement après (1987), échoua dans sa tentative de biographie de Salvatore Giuliano – il faut lui reconnaître deux handicaps : l'utilisation de Christophe Lambert dans l'incarnation du bandit italien et le souvenir du chef-d'œuvre de Francesco Rosi sur le même sujet. Quant à Desperate Hours (1990), malgré Mickey Rourke et Anthony Hopkins, il est loin de valoir La Maison des otages (1955), dont il est le remake et qui n'était déjà pas lui-même au niveau de bien d'autres films de son auteur, William Wyler. Ce demi-échec – ou demi-succès – ne permettra pas à Cimino de retrouver sa place.
Six ans plus tard, The Sunchaser (1996) est sélectionné au Festival de Cannes, d'où il revient bredouille. Le film est pourtant remarquable, histoire d'un cancérologue kidnappé par son patient, un Indien Navajo, qui le contraint à l'emmener dans la montagne sacrée de son peuple, où il croit pouvoir guérir.
Comme dans les bons road-movies, les héros, que tout sépare à l'origine, finissent par s'entendre et la traversée des paysages de l'Ouest américain par la Porsche rouge du médecin débouche sur un périple mystique, pas très bien reçu à l'époque et qui eut peu d'occasion d'être revisité. Le sort jeté sur Cimino après Heaven's Gate n'avait pas de raison d'être conjuré. On est obligé de lire Sunchaser comme un film testamentaire, dans la mesure où, depuis, le cinéaste a été réduit à tourner des films publicitaires, comme à ses débuts, et que la malédiction n'a pas été levée jusqu'à sa mort, le 2 juillet 2016. Coup de chapeau pré-posthume, Cannes lui offrit de figurer parmi les 33 réalisateurs à qui il fut proposé, en 2007, de tourner un court métrage de 3 minutes pour célébrer le soixantième anniversaire du Festival.
No Translation Needed, trente-troisième partie de Chacun son cinéma ou Ce petit coup au cœur quand la lumière s'éteint et que le film commence, constitue la dernière apparition sur un grand écran du nom de Michael Cimino.