Né le 12 juillet 1932, à New York, ce n'est qu'après ses études universitaires en Californie que Hellman entre dans l'écurie Roger Corman, usine à produire des films à budgets minuscules, inventifs et vite tournés, et qui formera les réalisateurs à la base du Nouvel Hollywood, Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, Peter Bogdanovich, Dennis Hopper ou Jonathan Demme. Hellman y est d'abord assistant, puis signe en 1959 son premier titre, Beast from the Haunted Cave, tout à fait dans la ligne des productions Corman, L'Attaque des crabes géants, La Femme-guêpe ou Teenage Caveman.
Comme le sera sa réalisation suivante, The Terror (1963, avec Boris Karloff), qui, pour d'obscures raisons, aura comme seul auteur crédité Roger Corman, alors que de l'aveu même d'Hellman, il s'agit d'un film qui lui est entièrement dû. Petit film d'épouvante en costumes (l'action se déroule durant les guerres napoléoniennes), fort agréablement ficelé, et qui n'aurait pas droit à remarque particulière s'il ne constituait la rencontre du cinéaste et de Jack Nicholson, qui allait être décisive pour Hellman.
Nicholson n'était alors qu'un acteur peu connu, qui n'avait eu pour principaux rôles que ceux donnés par Corman dans Un Baquet de sang et La Petite Boutique des horreurs. Il devra attendre 1969 et l'explosion de Easy Rider pour devenir une star, mais les quatre films tournés par Hellman dans les années 60 préparent le terrain : c'est grâce à ses deux westerns de 1965 et 1966 que Nicholson sera identifié, au moins par les cinéphiles français.
En attendant, Hellman lui offre des rôles importants dans Flight to Fury (1964) et Back Door to Hell (1964), deux films de guerre, toujours produits par Corman, dans les conditions et avec le résultat habituels : rapidité de l'action, nervosité du montage, violence, sècheresse et authenticité (ils sont tournés sur place, aux Philippines). Deux films de série, bien enlevés, mais qui ne laissent en rien prévoir la puissance et la nouveauté des deux westerns qui vont suivre, Ride in the Whirlwind (L'Ouragan de la vengeance, 1965) et The Shooting (La Mort tragique de Leland Drum, 1966).
Les films guerriers étaient bâtis sur le même modèle, les westerns seront presque jumeaux – au point d'être présentés conjointement en France, en 1968. Des scénarios épurés (le premier, signé par Nicholson, le second par Carole Eastman), une action réduite, une réalisation tellement sèche que l'on a pu parler de "style bressonien", ni l'un ni l'autre ne ressemblaient à ce qui se faisait en parallèle, chez Tom Gries, Sam Peckinpah, ou a fortiori Sergio Leone : aucun excès, nulle boursouflure, une manière très fine de fixer les comportements, une écriture véritable.
Si L'Ouragan de la vengeance conserve quelques traces anciennes du genre, avec son gunfight final, The Shooting, avec sa longue traversée du désert, est un western métaphysique, dont le mystère ne s'évanouit pas après le projection. Millie Perkins, ancienne Anne Frank (et qui joue dans les deux films), y trouva son plus grand rôle. Mal distribués, et obscurcis par des westerns contemporains autrement plus spectaculaires (c'était le temps d'Il était une fois dans l'Ouest), les deux films ne connurent qu'un succès limité à quelques amateurs, avant d'être redécouverts récemment, à la faveur du renouveau d'intérêt pour leur auteur.
Peu de succès également pour le titre suivant, réalisé cinq ans plus tard, et sur lequel pourtant repose le culte voué aujourd'hui à Hellman. Macadam à deux voies (Two-Lane Blacktop, 1971), sans acteurs vedettes (les deux chanteurs pop James Taylor et Dennis Wilson), sans action véritable, sans message explicite, sorti en France de façon furtive, fut accueilli comme un succédané automobile d'Easy Rider et disparut rapidement, non sans avoir, heureusement, laissé quelques traces chez ses spectateurs, qui en firent immédiatement, même si le terme n'était pas encore inventé en 1972, un film-culte.
L'argument était minuscule : deux amateurs de drag-racing, courses de voitures aux moteurs trafiqués, traversent les États-Unis d'une rive à l'autre au volant de leur Chevrolet 55, accompagnés d'un autre conducteur fou (Warren Oates, déjà dans The Shooting) qui les a défiés d'arriver avant lui au bout de la route.
Rien ne survient d'autre que cette dérive à l'échelle du continent, menée par deux personnages mutiques et l'étrange routarde, pas plus causante, qu'ils ont ramassée lors d'une halte - Antonioni greffé sur Jack Kerouac. Mais de cette hybridation naît un film superbe, dans lequel tout l'esprit d'une époque transparaît en filigrane, par une sorte d'alchimie sans égale : c'est le chant du cygne des belles années 60, et la mort de la fameuse parenthèse enchantée, comme l'annonce la dernière image sur l'écran, celle de l'embrasement de la pellicule dans le projecteur.
Avoir signé une tel chef-d'œuvre suffirait à Hellman pour figurer sur la liste des grand cinéastes, dont l'importance n'a que peu à voir avec la quantité du public qui les suit – il y a longtemps, sinon, que Jean Vigo serait oublié.
Le reste de sa carrière n'est pas du même calibre, comme s'il avait atteint avec Macadam... un point d'incandescence jamais renouvelable. Cockfighter (1974), de nouveau description d'un loser – toujours Warren Oates -, qui va d'un combat de coqs à l'autre en multipliant les échecs, est demeuré inédit ici, jusqu'à sa présentation à Montreuil en novembre 2003, lors de l'hommage offert à son auteur. Tout comme ses films suivants, China 9, Liberty 37 (1978), étrange western à l'italienne où le même Warren Oates rencontrait Fabio Testi, et Iguana (1988), encore plus étrange mélange d'une inspiration cormanienne (le héros est une sorte d'Elephant man) et d'une intrigue digne de Stevenson (c'est un harponneur, qui, au 19e siècle, se retire sur une île pour fuir le monde) : l'un et l'autre ne sont appréciables que dans la perspective de l'œuvre entière. Sortis de leur contexte, ils apparaissent comme des objets frappés par l'ange du Bizarre.
Après ces échecs publics, Hellman enchaîne avec une commande, ce Silent Night, Deadly Night III : Better Watch Out ! (1989), qu'il convient d'oublier, et que suivront dix-sept ans de silence apparent – en réalité, il est toujours présent à Hollywood, exécutant des travaux de montage ou de production exécutive, comme celle que lui confie Tarantino, qui l'apprécie, sur Reservoir Dogs (1992).
Mais ce n'est qu'à la fin de la première décennie de ce siècle qu'il revient à la réalisation, avec Stanley's Girlfriend, un sktech (assez austère) du film Trapped Ashes (2006), resté inédit, et enfin Road to Nowhere (2010). Le titre pourrait s'appliquer à une bonne partie de ses films précédents et ce chemin vers nulle part figurer, pourquoi pas, une métaphore de sa carrière.
C'est en tout cas, un étrange (encore !) ensemble à tiroirs, dédié à Laurie Bird, l'héroïne-météore de Macadam..., film sur le film, réflexions sur le cinéma, avec ses trois citations d'Ingmar Bergman, Preston Sturges et Victor Erice, œuvre fascinante et secrète dont une seule approche n'épuise pas le mystère. Jusqu'au bout – eu égard à son âge, on peut craindre qu'il ne s'agisse d'un film testamentaire -, Monte Hellman est demeuré un indépendant véritable, signataire d'une œuvre totalement en marge. Mais comme disait Godard, c'est la marge qui tient la page…
Lucien Logette