Après avoir, durant toutes les années cinquante, assisté quelques grands noms du cinéma français populaire, Marcel Carné, Denys de La Patellière, Henri Verneuil, il tourne son premier long métrage en 1962, au moment de l'éclosion de la Nouvelle Vague.
Rien de commun cependant entre les cinéastes du mouvement et cet artisan, adepte du scénario fignolé, de l'adaptation soignée de romans, du travail de caméra précis, avant tout désireux de proposer, modestement, au public un produit de qualité.
Pas un théoricien de son art, ni un auteur revendiqué, mais un cinéaste pragmatiste, sans états d'âme – en tout cas, apparemment. Excepté Noyade interdite (1987), tiré d'une Série Noire d'Andrew Coburn (qu'il a francisée), il a puisé son inspiration exclusivement chez les romanciers français, le plus souvent contemporains ; s'il a tiré Les Aventures de Salavin (1964) d'un livre ancien de Georges Duhamel, La Confession de minuit, c'est parce que l'ouvrage était d'une tonalité extrêmement moderne et qu'il pouvait être transféré sans dommage dans les années soixante.
Lorsqu'il a conservé l'époque d'origine, comme pour Une femme à sa fenêtre (1976), d'après Drieu La Rochelle, c'est parce que la narration n'avait de sens que restituée dans son contexte. En revanche, La Voix (1992) d'après le même Drieu, a été modernisée, pour donner plus de relief au récit.
S'il connut très peu d'échecs publics parmi la vingt-cinquaine de titres qu'il a signés, c'est grâce à la solidité de leur fabrication : quel que soit le romancier choisi, Alphonse Boudard (La Métamorphose des cloportes, 1965), Bertrand Poirot-Delpech (Le Grand Dadais, 1967), Félicien Marceau (La Race des 'seigneurs', 1974), Raf Vallet (Adieu, poulet, 1975), Jean Freustié (Le Toubib, 1979), Jean-Marc Roberts (L'Ami de Vincent, 1983), le soin avec lequel le récit était retranscrit à l'écran, la qualité des comédiens employés – Alain Delon, Jean Gabin, Sami Frey, Michel Piccoli, Simone Signoret, Romy Schneider, Nathalie Baye, Jean Rochefort, parmi dix autres -, en bref, le calibrage du produit, dans le meilleur sens du terme, était une garantie spectaculaire.
Même ses films moins réussis – il y en eut, L'Homme aux yeux d'argent (1986), L'Autrichienne (1989) – se situaient à un niveau d'exécution qui ne permettait pas de leur reprocher grand-chose, sinon d'éveiller moins de résonances que les précédents. Et parfois, rencontre d'un thème, d'une adaptation, d'un ensemble d'acteurs, surgissait un film qui surplombait les autres : ce fut les cas pour Une étrange affaire (1981), où il sut donner aux personnages inventés par Jean-Marc Roberts une rare dimension dans l'ambiguïté et la perversité des rapports – il reçut la même année le prix Louis-Delluc et le César du meilleur réalisateur.
Ce fut également le cas pour ses transpositions de quelques romans de Simenon, La Veuve Couderc (1971), avec Alain Delon et Simone Signoret, Le Train (1973) avec Jean-Louis Trintignant et Romy Schneider, L'Étoile du Nord (1982), avec Philippe Noiret et Simone Signoret, que l'on peut classer parmi les adaptations les plus convaincantes d'un écrivain qui en subit plusieurs centaines. Et évidemment pour Le Chat (1971), toujours d'après Simenon, affrontement inoubliable entre les deux monstres Gabin et Signoret, sans doute le dernier grand rôle de l'un et de l'autre (et un des plus puissants de toute leur carrière) : le huis clos du vieux couple déchiré par la haine et cependant insécable, le gouffre (ou la montagne, au choix) qui les sépare, l'exacerbation des sentiments plus souvent non-dits qu'exprimés - d'où leur force -, font de ce titre le sommet de sa filmographie, exemple d'un certaine conception du cinéma qui allie l'intelligence, la précision, le goût, sans autre ambition que de satisfaire dignement le spectateur, en lui fournissant toujours un peu plus que ce qu'il attend.
Attitude que Granier-Deferre pratiqua aussi bien pour le grand écran que pour le petit. On s'en rend compte en voyant la qualité des quinze épisodes de la série des Maigret qu'il tourna entre 1995 et 2004, après avoir fait ses adieux au cinéma avec Le Petit Garçon, et qui figurent parmi les meilleurs interprétés par Bruno Cremer.
Lucien Logette