Né le 11 novembre 1898, à Paris, et disparu le 15 mars 1981, à Neuilly, il est d'abord un jeune premier que l'on voit, au début des années 20, dans les films de Louis Feuillade. Il passe très vite derrière la caméra et tourne, la même année 1924, Paris qui dort, moyen métrage fantastique, et Entracte, court métrage mémorable dans lequel figure le gratin de l'avant-garde artistique du temps.
Il enchaîne ensuite, entre 1925 et 1928, cinq longs métrages muets qui lui permettent de faire ses gammes, et dont les deux derniers, Un chapeau de paille d'Italie et Les Deux Timides, adaptés de Georges Feydeau, passent à juste titre pour de petits chefs-d'œuvre.
Clair y met au point un rythme narratif personnel, reposant sur une connaissance très fine des mécanismes comiques que l'on retrouvera tout au fil de son œuvre. Tout en abordant avec méfiance le parlant, qu'il ne considère pas d'abord comme un progrès, il réalise une série de titres qui resteront parmi les classiques de l'âge d'or du cinéma français, de Sous les toits de Paris (1930) à Quatorze juillet (1933), en passant par Le Million (1931) et À nous la liberté (1931).
Il parvient à y allier recherche formelle (le travail sur le son), invention visuelle (l'utilisation des extraordinaires décors de Lazare Meerson), acuité du propos (la dénonciation de la société industrielle, que copiera Chaplin dans Les Temps modernes), tout en touchant le très grand public : c'est du cinéma populaire dans le meilleur sens du terme et l'on a peine à imaginer aujourd'hui la célébrité alors atteinte par René Clair. Un échec injustifié (Le Dernier Milliardaire, 1934, d'un comique trop décalé pour l'époque), un passage en Angleterre où il tourne une comédie d'humour anglais avant la mode, Fantôme à vendre (1935), et une autre peut-être trop négligée, Fausses nouvelles (1938), achèvent une décennie glorieuse : il fait alors partie, avec Renoir, Duvivier et Carné, du quartette majeur du cinéma français.
Même si son succès et sa renommée ne se démentiront jamais auprès du public (il restera après-guerre, comme Renoir, un réalisateur emblématique du cinéma national), il ne retrouvera plus de façon aussi constante la réussite artistique : s'il signe encore de bons films, son œuvre ne se situera plus sur les sommets, tout en conservant belle allure.
Il connaît l'exil aux États-Unis, comme Renoir et Duvivier, à partir de 1940. Des trois, c'est lui qui s'acclimate le mieux au régime holywoodien : La Belle Ensorceleuse (avec Marlene Dietrich, 1941), comme Ma femme est une sorcière (avec Veronica Lake, 1942), sont des comédies tout à fait digne d'estime, et Dix petits Indiens (1945) est une astucieuse adaptation des Dix petits nègres d'Agatha Christie. Mais, revenu au pays, l'inspiration semble lui manquer ; même s'il n'a que rarement pratiqué un cinéma "social", la réalité de son temps lui échappe : Le silence est d'or (1947) est un film charmant qui recrée les débuts du cinéma muet, La Beauté du diable (1950), nouvelle adaptation du mythe de Faust, n'est intéressante que par la rencontre inédite de Michel Simon et de Gérard Philipe.
Plus tard, Les Belles de nuit (1952) et Les Grandes Manœuvres (1955) sont des comédies romantiques élégantes et fort bien construites, qui valent encore par leur interprétation (tous les grands acteurs du moment y participent) et un travail formel sur la couleur alors peu fréquent dans le cinéma français. La mécanique horlogère est toujours aussi efficace, le plaisir du spectacle toujours présent, c'est du cinéma de grande confection, d'un classicisme irréprochable, mais qui apparaît, derrière l'agrément immédiat, comme dépourvu d'arrière-plan, tel un petit théâtre de marionnettes (à la différence des films contemporains de Max Ophuls, pourtant lui aussi détaché de son époque).
Il choisit de s'intéresser à la société de 1957 et adapte le roman de René Fallet, Porte des Lilas, avec Pierre Brasseur et les débuts (sans lendemain) à l'écran de Georges Brassens. Mais la veine populiste lui réussit moins que la récréation du petit monde de la Belle Époque et le film éveille surtout la déception de la critique et du public.
Les deux titres qu'il signera ensuite, Tout l'or du monde (1961) et Les Fêtes galantes (1966), pourtant dans la continuité de toute sa filmographie, seront salués poliment. L'apparition de la Nouvelle Vague fait de René Clair un réalisateur d'un autre temps et, raccrochant la caméra à 68 ans, il n'effectuera aucune tentative pour l'utiliser de nouveau.
Après son décès et l'inévitable passage au purgatoire critique (à l'image de Julien Duvivier), son œuvre a été réévaluée un peu plus sereinement et son importance historique redessinée. Entr'acte demeure un des courts métrages les plus justement cités de l'histoire du cinéma expérimental, tous ses films du début du parlant (les trois "parisiens" et À nous la liberté) ont bien vieilli, mieux que beaucoup d'autres, et fournissent un tableau précieux des milieux populaires des années 30.
Il manque au reste, dont les vertus d'architecture comique restent inentamées, le brin d'émotion qui permet de traverser les années : on admire sans être profondément touchés. Le cinéaste avait incontestablement un univers bien à lui, identifiable d'un film à l'autre ; qu'il soit daté, comme celui de Feydeau, par exemple, n'empêche pas le plaisir éprouvé à le redécouvrir.
Lucien Logette