Ainsi furent qualifiés, avant d'être considérés comme des grands réalisateurs, Edgar Ulmer ou Jacques Tourneur. Riccardo Freda n'accéda jamais à la catégorie supérieure, mais si le cinéma italien possède un petit-maître, c'est bien lui.
Il pratiquera, tout au long de sa carrière, un cinéma de genre, en fonction de la mode du moment : il tournera des films en costumes, puis des péplums, puis des films d'horreur, puis des westerns, puis des films d'espionnage, sans jamais se poser de questions. C'est ce qui constitue l'intérêt de sa production : un cinéma du premier degré, qui joue le jeu de la sincérité, naïf et enthousiaste, cousu consciemment de fil blanc, jamais indifférent.
Après avoir étudié la sculpture à Milan (ce qui explique sa sûreté dans ses reconstitutions artistiques) puis le cinéma à Rome, il commence par écrire des scénarios, une douzaine entre 1937 et 1942, et passe à la réalisation en 1942, avec Don César de Bazan, gros succès populaire, grâce à Gino Cervi, star italienne d'alors.
Freda enchaîne une série de films historiques et spectaculaires, avec les acteurs les plus célèbres du moment, Rossano Brazzi (L'Aigle noir, 1946, puis La Vengeance de l'Aigle noir, 1951), Vittorio Gassman (Casanova dans Le Chevalier mystérieux, 1948), Cervi encore (Jean Valjean dans une belle version des Misérables, L'Évadé du bagne, 1948), Gianna Maria Canale, superbe héroïne qu'il utilisera dans treize films d'"aventures et d'action". Freda, loin des cinéastes issus du néoréalisme, Castellani, De Santis, Lattuada, reconnus internationalement, ne vise que le grand public italien – et l'atteint. Il touche rarement au mélodrame (Le Passé d'une mère, 1951 ; Trahison, 1951), genre dans lequel il est moins à l'aise que Vittorio Cottafavi ou Raffaello Matarazzo.
Lorsqu'il tourne Spartacus, en 1953, avec Massimo Girotti et G.M. Canale, le péplum n'est plus pratiqué depuis Scipion l'Africain de Carmine Gallone (1937). Le succès est tel qu'il enchaîne immédiatement avec Théodora, impératrice de Byzance, toujours avec la Canale. Nouveau succès, mais curieusement, il ne continue pas dans le genre et n'y reviendra qu'en 1960, en pleine furie du péplum, signant, après Le Géant de Thessalie, quelques-uns des meilleurs Maciste, Le Géant à la cour de Kublai Khan 1961) et Maciste aux enfers (1962).
Son sens du spectaculaire, son goût artistique trouvent à s'employer pleinement dans des productions où il convient de pallier le manque de moyens par des astuces : jamais on ne sentira dans ses aventures de Maciste les bouts de ficelle et le stuc si souvent perceptibles chez la plupart de ses collègues.
Mais avant de replonger dans les fastes de l'Antiquité, il avait signé en 1956 deux films qui demeureront sans doute ses meilleurs, Les Vampires et Le Château des amants maudits. Le premier lance le genre alors inédit en Italie du film d'horreur (avant que Terence Fisher redécouvre pour la Hammer Films les mythes de Frankenstein et de Dracula), un film d'horreur moderne, dans un noir & blanc magnifié par la photo de Mario Bava, qui signera bientôt lui-même quelques chefs-d'œuvre.
Le second, dans un Eastmancolor raffiné, retrace l'histoire tragique de Béatrice et Francesco Cenci (Micheline Presle et Gino Cervi), qui avait inspiré Stendhal et Antonin Artaud. Freda y manifeste une inspiration visuelle qu'il ne retrouvera que dans Sept épées pour le roi (1962), sa dernière réussite dans le film de cape et d'épée.
On ne sait pour quelles raisons commerciales il choisit d'user, dès 1956, d'un pseudonyme anglais, alors que la mode ne s'en répandit qu'au moment de la vogue du western-spaghetti, après le succès de Sergio Leone/Bob Robertson. En tout cas, entre Les Vampires et Murder Obsession (1981, inédit en France), il signa Robert Hampton, George Lincoln ou Willy Pareto une grosse dizaine de titres.
Pas de différence de facture cependant entre les films "reconnus" et les films sous pseudo : ceux-ci sont parfois très mauvais (Caltiki, le monstre immortel, 1959), parfois remarquables (les deux petits bijoux horrifiques que sont L'Effroyable Secret du Dr. Hichcock, 1962, et Le Spectre du Dr. Hichcock, 1963).
Les quelques films qu'il tourne en France entre 1965 et 1967, Les Deux Orphelines, Roger la Honte ou le binôme Coplan FX 18 casse tout et Coplan ouvre le feu à Mexico, tous signés Freda, n'ont que peu d'intérêt en regard de ses œuvres passées. Et son retour en Italie n'améliore pas les choses : aucun des sept films qu'il réalise entre 1967 et 1981 ne traversera la frontière, ce qui n'est pas bon signe.
Son temps était-il passé ? On peut le penser, eu égard à son ultime échec : fatigue (il avait 85 ans) ou perte de compétences (selon des témoignages), il fut renvoyé du tournage de La Fille de d'Artagnan (1994). Le film fut terminé et signé par Bertrand Tavernier, un de ses plus anciens admirateurs qui avait choisi de le produire et de lui en confier la réalisation, après treize ans d'interruption de carrière. Triste adieu pour un cinéaste, ce qui ne retire rien aux qualités dont il fit preuve quarante ans durant et au plaisir certain qu'il procura à ses spectateurs.
Lucien Logette