Question(s) de réalité : "Assumer la caméra" par Nicolas Philibert
VIDEO | 2011, 5' et 3' | Le réalisateur de Être et avoir et de Qui sait ? évoque la place de la caméra dans ses do1
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Au cours de l’été 1995, pensionnaires et soignants de la clinique psychiatrique de La Borde préparent la pièce de théâtre qu’ils joueront le 15 août.
Au cours de l’été 1995, fidèles à ce qui est désormais devenu une tradition, pensionnaires et soignants de la clinique psychiatrique de La Borde se rassemblent pour préparer la pièce de théâtre qu’ils joueront le 15 août. Cette année, ils ont choisi d'interpréter «Opérette», de Gombrowicz. Au-delà du théâtre, Nicolas Philibert filme la vie de la clinique, celle de tous les jours, les petits riens, la solitude et la fatigue, mais aussi les moments de gaieté, les rires, l’humour dont se parent certains pensionnaires, et l’attention profonde que chacun porte à l’autre.
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" Au début, on dirait un peu La Nuit des morts-vivants de George Romero : des personnages hagards, hirsutes, arpentent en tous
" Au début, on dirait un peu La Nuit des morts-vivants de George Romero : des personnages hagards, hirsutes, arpentent en tous sens les pelouses de ce lieu célèbre de la psychiatrie alternative. En voyant ces malades mentaux livrés à eux-mêmes, négligés, vacants, on découvre en même temps des êtres qui ignorent le souci de paraître, le jeu social. A partir de là, le film va pouvoir élaborer une démonstration imparable sur le mode “le monde est un théâtre et les fous sont les seuls à refuser d’y jouer un rôle (ou alors de façon assez vague)”. Refus non pas délibéré, mais découlant d’un repli pathologique sur soi…
Donc le cinéaste regarde les patients de Laborde répéter une pièce sous la houlette d’une soignante ; processus éminemment thérapeutique, destiné à donner une cohésion au groupe, tout en permettant aux fous de s’extérioriser. Mais la démarche est aussi foncièrement ludique. C’est par ce biais que Nicolas Philibert, évitant avec bonheur le documentaire lourd sur “l’enfer psychiatrique”, nous fait pénétrer dans cet univers autre. L’angle du théâtre s’avère d’autant plus opportun que, cette année-là, la pièce choisie (par la soignante Marie Leydier) est Opérette de Witold Gombrowicz, écrivain dont on connaît le travail sur le langage et l’importance de la bouffonnerie comme arme de subversion dans son oeuvre.
Dans cette comédie musicale/pamphlet aux intonations ubuesques, les malades mentaux, grimés en caricatures de figures emblématiques de la société bourgeoise (généraux, notables, matrones ou ingénues), moquent non seulement nos conventions grotesques mais, en incarnant des personnages plus loufoques qu’eux, retrouvent une dignité qu’ils semblaient avoir perdue en se désolidarisant du monde réel. Ils exorcisent en quelque sorte leur image de fous en interprétant des bouffons. Par la même occasion, ils démontrent que la société est une vaste plaisanterie. “Etre un homme, cela veut dire ne jamais être soi-même”, dit Gombrowicz. On n’en saura pas très long sur la teneur d’Opérette, la représentation de la pièce se trouvant réduite à quelques bribes, à la fin du film. L’essentiel étant de montrer les pensionnaires dans une situation hors norme, lors des répétitions de la pièce en plein air, où ils ressemblent plus à des amateurs un peu brouillons qu’à des malades.
Grâce à cet accent mis sur le travail des répétitions théâtrales et musicales, le réalisateur fait vite oublier que ces personnages sont sortis des rails de la comédie humaine. Ainsi, nous ne les regardons plus derrière des vitres ou des grillages comme des animaux ce qui rejoint pleinement la vocation de Laborde, qui consiste en partie à gommer les “garde-fous” carcéraux. La glace étant rompue, on entre plus aisément dans l’intimité des pensionnaires à l’intérieur de l’établissement. Certains sont interviewés, d’autres vus en train de se livrer à diverses activités : ateliers dessin, corvées de cuisine, tâches administratives par certains malades qu’on ne distingue pas toujours des soignants, qui ne portent pas de blouses blanches. Le pensionnaire le plus disert, véritable vedette du film, tient par exemple le standard téléphonique de la clinique. Scène superbe de cocasserie où il demande à un interlocuteur de rappeler dans une demi-heure, en expliquant avec précision qu’une demi-heure fait trente minutes… Ne parvenant pas à se faire comprendre, il se met soudain à ânonner dans un anglais ampoulé."
" Ses bras invoquent le ciel, puis se ferment autour de son corps comme une camisole volontaire. A pleins poumons, Violaine respire l&
" Ses bras invoquent le ciel, puis se ferment autour de son corps comme une camisole volontaire. A pleins poumons, Violaine respire l'air le plus pur de la campagne, pour expirer l'air d'opéra le plus désespéré : « J'ai perdu mon Eurydice... Quel tourment déchire mon coeur !... » Son chant glace le sang. Soudain, Violaine sort du champ de la caméra et laisse sa voix déchirée envahir l'écran, avec les arbres pour seul auditoire. Puis elle revient dans le cadre, pour hurler a capella les derniers mots de sa complainte : « Ma douleur... », comme si Gluck l'avait composée pour elle... Abrupte et mystérieuse, cette première séquence de La Moindre des choses résume à merveille la méthode Philibert.
Règle no 1 : ne jamais suivre du regard celui qui refuse d'être vu. Règle no 2 : débusquer l'essentiel qui se cache toujours derrière l'insignifiant. Depuis ses débuts, le documentariste se glisse patiemment dans des mondes très fermés. Pas pour les dynamiter de l'intérieur. Simplement pour changer le regard extérieur. (...) Il n'a pas voulu filmer le folklore de la folie, avec ses crises de démence et ses larmes d'angoisse. De son vol au-dessus d'un nid de coucou, il n'a rapporté aucun cliché spectaculaire. Il a eu raison. La moindre des choses, l'infiniment petit, en disent aussi très long sur ces humains à la dérive : une boutade, un geste, un soupir. Pour observer ces trois-fois-rien en toute discrétion, Nicolas Philibert a profité de l'effervescence d'une répétition théâtrale. (...)
En permanence, Nicolas Philibert nous force à fouiner au-delà de l'apparence des visages comme de la nature. Car le cinéaste ne se contente pas de sonder les hommes. Il s'imprègne aussi de leur environnement, filmé sans eux, dans de longues séquences silencieuses. Respirations salutaires ou bouffées d'angoisse, ces plans d'arbres agités par le vent et la pluie rappellent que les malades de La Borde sont des êtres humains, habitants de la planète Terre. Leurs angoisses renvoient aux nôtres, comme dans une pièce de Samuel Beckett. La Moindres des choses a des allures d'En attendant Godot. Dans le jardin de La Borde, un patient hagard marche péniblement jusqu'à un arbrisseau, en se massant le front, comme pour calmer les pensées insoutenables qui cognent sous son crâne. Et l'on croit voir le personnage d'Estragon, qui souffre le martyre à cause de ses chaussures torture, sous un arbre esseulé. Soignants ou malades, sains d'esprit ou psychotiques ? (...)
Parmi tous les visages croisés à La Borde, Nicolas Philibert a trouvé un allié. Aussi lucide que lui sur cette maigre frontière qui sépare la folie de l'ordinaire. Il s'appelle Michel Parent et séjourne régulièrement à la clinique depuis 1969. Les tics nerveux, la révolte exténuée, la diction appliquée, le discours poétique : tout, chez lui, évoque Antonin Artaud. « Ne parlez jamais de votre santé à un médecin, parce qu'il pourrait vous asservir... », dit-il au spectateur, le regard à la fois rieur et abyssal. En terminant son documentaire sur cette confession testament, Nicolas Philibert dénoue le dernier cordon de sécurité qui nous séparait des fous. On sort de son film avec cette étrange impression qu'Artaud décrit dans Le Pèse-nerfs : « Une espèce de déperdition constante du niveau normal de la réalité. ». "
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