George A. Romero, auteur en 1968 de La Nuit des Vivants et de tois autres long-métrages moins connus (There's always Vanilla, Hungry Wives et surtout Crazys) nous donne avec Martin un petit film passionnant qui renouvelle la geste vampirique. Son héros n'est pas en fait un être surnaturel mais un malade dont le mal, loin d'être combattu, est exacerbé par un vieillard hystérique. Martin est un monstre créé par les hommes, puis détruit par eux, une victime : cette approche est nouvelle. Martin est intoxiqué par le vampirisme et quand il vit une situation, il évoque des scènes qui ne sont pas des flashes-back. comme le film —habilement — peut le suggérer, mais des scènes de films anciens que Martin a vus.
Martin est un paumé parmi d'autres paumés, sa timidité lui interdit d'avoir avec les autres des rapports apaisés ou normaux. Avant d'accepter Christina, il la fuit. Il ne cède que fort tard aux avances de Mme Santini. Quand il voit un cortège défiler dans une rue, il essaie naïvement de s'y intégrer. Il n'est à l'aise que dans l'accomplissement du forfait. Organisé, il range dans une trousse seringue et rasoir. Pour gagner du temps, il a pris l'habitude de tenir la seringue dans la bouche. Il emploie à se laver une précision maniaque, etc.
La dérision ne lui est pas inconnue, ne va-t-il pas jusqu'à jouer avec une guillotine de prestidigitateur ou mieux à se déguiser en Dracula ! Si l'étude du personnage Martin est remarquablement conduite par le film, les protagonistes secondaires (encore des paumés !) ne sont pas négligés : Christina épouse Arthur parce qu'il est la seule porte de sortie possible; Mme Santini, bourgeoise ordinaire, déçue par la passivité de Martin se suicide, etc.Par-delà l'intrigue principale on découvre un portrait assez crédible de l'ânerie quotidienne avec ses loubards, ses flics, ses habitants en mal de vivre ou de communiquer. Une autre qualité du film est l'ambiguïté qu'il entretient avec un certain bonheur (naturel/surnaturel, folie/malédiction), une ambiguïté qui trouble le spectateur.
Tourné à Pittsburgh. avec un matériel léger et une petite équipe, fait d'une succession rapide de séquences bien enlevées, le film bénéficie d'une construction nerveuse et rythmée. On note l'utilisation ici judicieuse d'objectifs déformants et de contre-plongées qui par des procédés d'écriture accentuent les ruptures entre les personnages et suggèrent l'incommunicabilité. Le background est très banal et très quotidien (admirables photographies de la banlieue de Pittsburgh), on ne retrouve aucun des artifices habituels du cinéma fantastique sauf dans les pseudo-flashes-back qui constituent autant d'hommages savants aux pionniers du cinéma fantastique.L'interprétation révèle un jeune acteur de théâtre, John Amplas (…) Quant à Romero, il se révèle être un grand auteur du cinéma fantastique dont il utilise les mythes, mais pour les transformer radicalement. "
Christian Bosseno, 1978