" Comme toujours, chez Ripstein, on est « en famille », au sein d'une cellule réduite, étouffante, creuset des névroses et de la souffrance. Mais, à la différence de Principio y fin, de La Reine de la nuit ou de Carmin profond (...) Pas de lettre pour le colonel, tiré d'une nouvelle de García Márquez, ausculte avec une modestie attentionnée et généreuse les « terribles et minuscules misères quotidiennes de l'homme ordinaire » (...)
Pas de lettre pour le colonel pourrait n'être que le patient et méticuleux recensement des gestes, paroles et non-dit d'un amour de vieux qui a résisté au temps et à tout. Chacun veille sur l'autre, de sorte qu'aucun ne sombre. Mais sur cette histoire infime, et sans qu'on y prenne garde, le monde, par cercles concentriques, vient se greffer.
Le couple, tout d'abord, est un trio : entre eux s'interpose un coq de combat, enjeu matériel sa vente les ferait manger quelque temps et affectif le colonel lui prodigue toutes ses attentions. Et ce coq lui-même est bien plus qu'un coq : il est la mémoire du fils, victime autrefois d'une rixe passionnelle en marge d'un combat du volatile. Et ce fils lui-même est ce passé qui les hante, et ce futur qu'ils n'auront pas. Ainsi Ripstein a-t-il composé une ode étrangement funèbre, un film qui se tient au bord de la mort, aux portes du renoncement, qui veille mais ne sombre pas.
Le colonel et sa femme sont des survivants, dans un monde qui n'a plus besoin d'eux, comme l'est en son pays Arturo Ripstein, dont chacun des films entretient le mythe d'une cinématographie mexicaine, morte il y a longtemps. L'extrême élégance de sa mise en scène s'accorde au rituel de ses personnages..."
Vincent Remy