" Même s'il manque des séquences, remplacées par des scènes de rues en Pologne, en 1987, et un commentaire de l'œuvre, épopée de science-fiction, tragédie shakespearienne de bruit et de fureur, apparaît dans toute son ambition et sa démesure.
Sur la face cachée de la Lune, des Terriens utopiques, croyant créer un univers nouveau, reprennent le processus de la civilisation judéo-chrétienne. Au terme d'aventures chaotiques à travers le temps et l'espace, Marek, le nouveau Messie, qui a succédé à Jerzy, le nouveau Moïse, est mis en croix. Sur le globe d'argent, inévitablement, les choses se passent comme sur la Terre : le message venu du cosmos, les idéologies représentent une suite de duperies. Victimes des pouvoirs, les hommes sont des damnés, des opprimés, succombent aux manipulations. Un cycle s'achève ; un autre arrive.
Telle semble être la « philosophie » de Zulawski. Mais il a surtout voulu surprendre, impressionner, par un langage cinématographique exacerbé, cent fois plus « baroque » que celui d'Orson Welles. La caméra fonce à toute allure, se fait parfois subjective, explore des paysages — mers et montagnes — devenus imaginaires, traverse des grottes fantastiques.
Vêtus comme dans ces bandes dessinées où l'anticipation rejoint les signes de la barbarie, les personnages, si nombreux que peu sont identifiables, s'agitent au milieu du sang, de la boue, de l'horreur. Il arrive qu'on se déplace plus facilement d'une planète à l'autre grâce à une drogue hallucinogène qu'avec un vaisseau spatial dernier cri. Bizarrement, les Cherns, ces êtres debout, mi-oiseaux, mi-reptiles, annoncent l'entité maléfique de Possession (1981).
Quand Marek et ses troupes les traquent dans un quartier en ruine, le souvenir nous revient de l'anéantissement du ghetto de Varsovie par les nazis. Or Marek épargne les Cherns et son peuple se retourne contre lui. Cela donne à penser, mais le spectacle est tellement inouï qu'on en sort dans un état voisin de la catalepsie. Expérience ni banale ni courante."
Jacques Siclier, 14/05/1988
