" Dès la première séquence, le ton est donné. Dans l’Irlande de 1989, entre deux répliques sur le foot, un mec s’effondre en larmes sur le comptoir d’un pub : il vient d’être licencié. Son pote, chômeur depuis longtemps, le console. Ils boivent un coup, suivi de pas mal d’autres. Beuverie gigantesque où, entourés de leurs copains pas mieux lotis qu’eux, Larry (le chômeur longue durée) et Bimbo (le petit nouveau), pleurent de rire et non plus de chagrin.
Le chagrin, ils le taisent ou le cachent. Quand son fils lui fait une réflexion blessante, Larry (Colm Meaney) trouve un prétexte pour quitter la table, et c’est dans la chambre à coucher plongée dans le noir qu’il reste, humilié, silencieux. Il faut voir la délicatesse avec laquelle Stephen Frears filme Larry et sa femme préparer Noël. « Pas de cadeaux pour toi et moi, d'accord ? », fait-elle. Bien obligé, répondent les yeux de Larry. Pas de cadeau non plus pour leur fille aînée. Pour le garçon, oui, il en faudrait un...
Il n’y a qu’un point sur lequel il ne transige pas : non, on n’achètera pas de poulet, même si c’est moins cher, mais une dinde. Une vraie foutue dinde ! Larry ressemble au héros de Raining Stones, de Ken Loach, qui se serait tué plutôt que de renoncer à acheter une robe de communion pour sa fille. Pas de travail, peut-être, mais de la dignité...
Avec The Snapper, autre adaptation d’un roman de Roddy Doyle, Frears avait réussi une sorte de vaudeville social ébouriffant. Moins effréné, The Van est tout aussi cocasse durant plus d’une heure. Ici, le prétexte n’est plus le « môme » (the « snapper »), mais cette camionnette répugnante et incommode, une véritable épave que Bimbo (Donal O’Kelly) et Larry veulent retaper, afin d’y vendre des fish and chips et, au grand dam du fils végétarien de Larry, des hamburgers.
L’arrivée triomphale de l’épave, suivie par des gamins hilares, près du pavillon de Bimbo, les essais calamiteux de Larry pour faire cuire ses premières frites sont des moments formidables. Faciles, peut-être, mais chaleureux, émouvants et drôles."
Pierre Murat