Courte activité personnelle au pays, donc. Mais il est inséparable de Forman, son condisciple à la Famu, la célèbre école de cinéma de Prague : c'est lui qui écrit les scénarios de ses premiers documentaires, Concours et S'il n'y avait pas les guinguettes (1963), et, après avoir été son assistant sur L'As de pique, cosigne, avec Jaroslav Papousek, les scripts des Amours d'une blonde (1965) et d'Au feu, les pompiers (1967). On conçoit l'importance de son rôle.
Il passe à la réalisation en 1965, en adaptant une nouvelle de Bohumil Hrabal, prévue pour figurer dans le film collectif Les Petites Perles au fond de l'eau, manifeste générationnel autour de l'œuvre du romancier, signé par les jeunes Nemec, Menzel, Chytilova, Jires et Schorm.
C'est sans doute pour des raisons de durée que les 14 minutes de son court ne s'ajoutèrent pas au 107 minutes de la version finale. Il était pourtant tout à fait digne des autres et ne rompait en rien la tonalité générale.
C'est à partir d'un scénario original encore écrit avec Papousek qu'il tourne Éclairage intime. Le film est emblématique, et, presque plus que les films de Forman, va représenter pour les spectateurs étrangers la quintessence de l'esprit du jeune cinéma tchèque.
Le cadre – une maison dans un village -, les personnages – deux amis musiciens, l'un campagnard, l'autre pragois, et leurs proches, femme, fiancée, enfants, beaux-parents -, les situations – un enterrement, la répétition d'un quartette à cordes, un repas dominical, une soûlerie entre hommes -, tout repose sur la description d'un petit univers clos, vu de plain-pied, quasiment sans recul, sinon les quelques regards amusés que porte parfois sur lui la fille de la ville (Vera Kresadlova, belle actrice vue chez Forman et qu'on reverra chez Menzel).
Il s'agit de la même petite musique qui résonnait dans L'As de pique, faite de moments faibles, d'instants non accentués, de creux narratifs, entre le je-ne-sais-quoi et le presque-rien.
Musique extrêmement délicate, dont la modulation nécessite d'être pleinement tenue, sous peine de verser dans l'imperceptible. Mais Passer possède la totale maîtrise de ce registre : depuis la répétition initiale de l'orchestre symphonique jusqu'à la dégustation finale de la liqueur-faite-maison, chaque plan capte la vibration exacte de la durée suspendue. Un jeu de grimaces avec un enfant, une poule blanche perchée sur une voiture et qui refuse d'en descendre, une cohorte de porteurs de cercueils urinant de concert le long d'un mur, une cuisse de poulet circulant d'une assiette à l'autre : de cette succession de moments minuscules pourrait naître l'ennui ; Passer en fait une suite d'épiphanies, un petit miracle d'équilibre, qui fut salué comme tel, lors de la sortie du film en France, au dé-but de 1967.
Ayant choisi l'exil, Passer ne trouva pas aux États-Unis le climat propice à l'éclosion de nouveaux films de ce calibre.
S'il parvint, les premières années, à tourner régulièrement – cinq titres en dix ans, c'est plus que son ami Forman -, ni Né pour vaincre (Born to Win, 1971), ni La Loi et le désordre (Law and Disorder, 1974), ni Le Désir et la corruption (Ace Up My Sleeve, 1976), ni Banco à Las Vegas (Silver Bears, 1978), ni La Blessure (Cutter's Way, 1981), ne dépassèrent le niveau hollywoodien habituel.
Passer s'était parfaitement adapté à son nouveau territoire, mais plus rien de ce qui constituait sa spécificité ne substituait dans ces produits agréablement formatés, peu mémorables, malgré leurs acteurs, Robert De Niro, Ernest Borgnine, Jeff Bridges, Karen Black. Rien de ce qu'il a réalisé depuis – son dernier titre, Nomad, date de 2005 – n'est parvenu jusqu'ici, ce qui n'est pas un signe d'excellence. Au moins restera-t-il dans l'histoire comme l'auteur d'un des meilleurs films du printemps tchèque, ce qui n'est pas rien.
Lucien Logette