Suite à cette période, il se met à fréquenter les cinémas. D'abord attiré par les dessins animés de Chuck Jones et Tex Avery (Merrie Melodies et Looney Toons), il deviendra cinéphile après la vision de Blanche Neige et les sept Nains mais surtout des films fantastiques de série B signés Jack Arnold (Le Météore de la Nuit). Etudiant, il dirige un cinéclub au Philadelphia College of Art où il remonte des films aussi kitch que de mauvais goût, entrecoupés de plans absurdes, pillés dans d'autres encore plus pathétiques. En dix ans, cette orgie visuelle atteindra les sept heures.
En 1968, il devient critique au Film Bulletin à Philadelphie. Ses Orgy Movies retiennent l'attention d'un ami qui le met en contact avec le producteur indépendant Roger Corman. Grande figure du cinéma américain (qui fera débuter aussi bien Scorsese et Coppola que Jack Nicholson ou DeNiro), il offre à Joe Dante un poste de monteur de bandes-annonces. Il enchante son patron en ajoutant, sans cohérence, des hélicoptères qui explosent sur chacune d'elles. Corman confit ensuite à Dante la réalisation du film le moins cher de sa société de production New World Pictures : Hollywood Boulevard. Le film lui plait et il propose à sa recrue une nouvelle réalisation avec plus de moyens mais dont le scénario peu convaincant sera corrigé par son collègue et ami, John Sayles : Piranhas.
Pastiche des Dents de La Mer de Steven Spielberg (succès de l'été précédent), Piranhas est adoubé par ce dernier. Mais c'est surtout son film Hurlements, et la façon dont Joe Dante va utiliser les effets spéciaux de Rob Bottin, qui vont convaincre Spielberg de lui proposer un scénario qu'il destinait à Tim Burton : The Gremlins. Tournant autour d'une légende urbaine fondée par des aviateurs, les Gremlins sont des esprits frappeurs qui font tourner en bourrique les mécaniciens. Cette fois-ci, une créature adorable venue de Chine se transforme et se démultiplie en autant de petits monstres qui terroriseront une petite ville, décor typique du cinéma de Joe Dante. Le cinéaste tournera, plus tard, tout un film sur ce thème : Les Banlieusards.
S'inscrivant dans la culture foraine du cinéma américain, Joe Dante aime le cinéma spectacle. C'est dans cette optique qu'il tourne Gremlins qui se déroule en plein Thanksgiving et surtout sa suite, qui situe l'action dans une tour entièrement dédiée à la haute technologie.
Spielberg, comme son ami George Lucas, utilise les produits dérivés pour garder un contrôle total sur ses films. Joe Dante, lui, a une autre vision de l'indépendance artistique et l'on sent bien que ce n'est pas la créature adorable qui à les faveurs du cinéaste, mais plutôt les créatures anarchistes qui sommeillent en elle. Pour Gremlins 2, les stars véritables seront les monstres et Joe Dante se fait une joie de déconstruire la mécanique du merchandising mis en avant par son producteur.
Car Joe Dante est un cinéaste politique : à l'instar des cinéastes américains de sa génération, il est marqué par l'assassinat du président John F. Kennedy, par sa diffusion à la télévision et surtout par les implications du hors champ qu'implique le document amateur. Il est pour lui impossible de limiter ses films à du pur spectacle. L'image a un contexte. Si pour DePalma et Oliver Stone il faut se méfier des images, Joe Dante prend l'image comme une énigme amusante. Il faut, certes, se méfier de l'image à des fins politiques (The Second Civil War) ou publicitaires (Small Soldiers), mais l'image est aussi une façon de rendre ce monde plus joyeux ou en tout cas, supportable (Panic à Florida Beach). L'image n'est donc pas mauvaise en soit, c'est l'utilisation que l'on en fait qui peut être néfaste : de ce point de vue les pastiches qu'il réalise lui même des films, publicités ou reportages qui sont diffusés à la télévision dans ses fictions font figure d'éducation à l'image à destination des spectateurs.
Dans Hurlements nous suivons les pas de journalistes de télévision enquêtant sur un serial-killer. Ils comprendront un peu tard qu'il s'agit d'une communauté de loup-garous. Le film oppose l'image télévisuelle (contrôlée par des cyniques ou des journalistes cartésiens) et l'image cinématographique (contrôlée par Rob Bottin et Joe Dante, des artistes magiciens).
L'un des thèmes qui se dégage de l'oeuvre de Dante, c'est la part animale de l'Homme. Si la technologie évolue, nous restons des animaux. Si dans Hurlements, les hommes n'arrivent pas à contrôler leurs pulsions animales, dans The Explorers, l'un des enfants (River Phoenix) a pour animal de compagnie une souris qui parle grâce à un mécanisme adapté et l'utilise aussi facilement que les enfants le font avec l'ordinateur. Dans l'Aventure Intérieure, l'homme est réduit à la taille d'une cellule pour être implanté dans un lapin (l'expérience ne se déroule pas comme prévu et c'est dans le corps d'un dépressif que Dennis Quaid atterrit).
Dans Small Soldiers se sont finalement les Gorgonites, créatures mi-animales mi-humaines qui se montreront plus proches de nous que les figurines guerrières au physique d'acteurs de films d'action qui s'avèrent être de véritables machines a tuer. L'utilisation des voix participe à la satire, les soldats sont interprétés par les acteurs du film Les Douze Salopards de Robert Aldrich alors que les Gorgonites ont les voix des interprètes de Spinal Tap, film culte de Rob Reiner qui suit les mésaventures du plus sympathique faux groupe de hard-rock. Small Soldiers est, après Gremlins 2, un nouveau suicide commercial. Burger King et Hasbro, partenaires officiels, avaient dans l'idée d'utiliser le film comme produit d'appel pour les figurines soldats. Le résultat final, que l'on peut comparer à Starship Troopers de Paul Verhoeven, est une oeuvre jubilatoire, critique envers le capitalisme, le cynisme des marchands de jouets et le complexe militaro-industriel; rejoignant dans sa satire son oeuvre précédente : The Second Civil War où Joe Dante imagine le traitement médiatique et politique d'un afflux de réfugiés déclenchant une nouvelle guerre civile. Petit bijou de la télévision américaine (HBO), sorti au cinéma en France, Dante y fait le constat d'une Amérique divisée par la haine de l'autre.
Les studios ne feront plus appel à Joe Dante jusqu'en 2003, dans une nouvelle Amérique, de nouveau soudée. Si les Etats-Unis ont changé, Joe Dante reste le même, et profite de l'offre de la Warner de diriger les créations de Chuck Jones dans Les Looney Tunes contre attaquent pour démolir l'industrie hollywoodienne. Après être retourné à la télévision pour deux beaux épisodes politiquement sarcastiques de Masters Of Horror (Vote ou Crève et La Guerre des Sexes), Joe Dante, en petite forme, a réalisé en 2009, The Hole 3D toujours inédit en France mais disponible en dvd.
Gaël Martin