Du maoïsme et de sa plus violente dérive, la révolution culturelle, Chen Kaige est à la fois l’héritier et la victime meurtrie. Cette position compliquée, sûrement douloureuse, lui a valu d’être considéré tour à tour comme un cinéaste contestataire et comme un artiste complaisant vis à vis du régime chinois.
Fils d’une scripte et du réalisateur Chen Huakai, Chen Kaige est né à Pékin en 1952.
En 1966, son père, auteur d’opéras filmés jusque là appréciés du régime, est soudain désigné comme un ennemi de la révolution. Chen Kaige a alors 14 ans, et il est déjà solidement embrigadé. Lors de l’interrogatoire de la famille, il accepte de dénoncer son père. Ce souvenir, que le réalisateur révèle dans son autobiographie (Une jeunesse chinoise, ed Picquier, 1995), est un plaie ouverte, même si le père et le fils se sont retrouvés plus tard.
En 1968, comme des millions de jeunes citadins, il est envoyé au fin fond de la campagne pour y faire sa « rééducation », auprès des paysans. Il travaille trois ans dans le Hunan, sur des plantation de bambous et de caoutchoutiers puis passe cinq ans dans l’armée.
En 1978, il s’inscrit à l’Académie de cinéma de Pékin, qui vient juste de ré-ouvrir ses portes, dans les débris de la révolution culturelle. Parmi ses condisciples figure entre autre Zhang Yimou qui avant de devenir cinéaste (Epouses et concubines) sera chef opérateur sur les premiers films de Chen Kaige.
De ses années de « rééducation », Chen Kaige ne garde pas qu’un souvenir négatif. Il y a découvert la vie de la Chine profonde. On l’imagine avec la même curiosité silencieuse que le jeune cadre de l’armée envoyé dans le Shaanxi pour y receuillir des chants populaires dans Terre jaune (1984) son premier film.
Dans Le Roi des Enfants (1987) histoire d’un jeune instituteur dépêché dans un village de montagne, le monde traditionnel des campagnes et une certaine modernité se confrontent à nouveau. La critique de la révolution culturelle s’y dit à demi-mot, dans la pédagogie de l’instituteur – partisan d’un enseignement pragmatique contre le bourrage de crâne -, ou métaphoriquement (les brumes qui noient le village symbolisant l’atmosphère oppressante de l’époque).
Plus ambigüe, réalisé au prix d’épuisantes négociations avec l’armée, La Grande Parade (1986) racontait les préparatifs sans fin (neuf mois) d’un groupe de soldat en vue d’un défilé sur la Place Tienanmen. Tourné 5 ans avant le massacre des étudiants sur la même place, le film, depuis, résonne étrangement. Le dressage forcené des corps et des esprits en vue de la grande mise en scène militaire est filmé avec une sorte de minutie fascinée et froide, sans véritable point de vue.
A la fin des années 80, Chen Kaige part vivre à New-York, apprend l’anglais et s’imprègne du cinéma occidental. Il revient Chine en 1991, pour y tourner La vie sur un fil, son premier film réalisé avec des capitaux étrangers. Avec cette fable intemporelle et poétique sur un musicien aveugle, Chen Kaige caresse l’espoir de charmer le public occidental, après les mésaventures du Roi des Enfants : le film avait reçu à Cannes le prix du Réveil d’or décerné, par des journalistes blagueurs, au film le plus rasoir (l’incident avait piqué au vif les autorités chinoises et avait fini par provoquer le départ de Chen Kaige pour les Etats-Unis).
La consécration cannoise arrive 2 ans plus tard, avec Adieu ma concubine, palme d’or en 1993 (ex-aequo avec La Leçon de Piano de Jane Campion). Destin de deux acteurs de l’opéra de Pékin (Leslie Cheung et Zhang Fenyi avec, entre eux la belle Gong Li), de 1924 aux lendemains de la révolution culturelle, ce mélodrame effervescent semble charrier tout l’univers mental de Kaige : cruauté des situations, couleurs violentes, raffinement mêlé de brutalité des images.
Le succès d’Adieu ma concubine, qui révèle enfin Chen Kaige en Europe et aux Etats-Unis, lui ouvre les portes de productionw ambitieuses, mais le voue aussi à une surenchère : L’Empereur et l’assassin (2001), histoire du premier empereur chinois (qui fut une référence pour Mao) est une œuvre aussi pharaonique que son budget, dont la grandiloquence et l’académisme décourage, en dépit d’un vrai souffle épique.
Plus modeste mais assez tire-larme L’Enfant au violon (2003), est pétri de bons vieux idéaux communistes (un enfant musicien aussi pauvre qu’il est doué se frotte au cynisme d’un monde corrompu par l’argent). Visant toujours plus gros et plus cher, Chen Kaige a signé en 2005 Wu Ji, la légende des cavaliers du vent méga production spectaculaire, qui remixe le film de sabre chinois avec l’univers magique et médiéval de l’ héroic fantasy.
Véronique Cohen