La filmographie de Karel Reisz est courte – moins de dix films en trente ans -, mais d'une rare solidité, sans doute la plus remarquable et la plus cohérente de tous les réalisateurs anglais qui ont créé et illustré le Free Cinema.
Son premier film, Samedi soir et dimanche matin (1960), est un manifeste du nouveau cinéma britannique, portant un regard neuf sur la société, en choisissant ses héros dans un milieu populaire précisément observé. Albert Finney, pour ses débuts d'acteur, y campe de façon mémorable un jeune ouvrier révolté, surtout préoccupé d'amour et de beuveries. Il est le premier d'une série de personnages exceptionnels, complexes, souvent ambigus, toujours "border line" : le même Finney en psychopathe tueur dans La Force des ténèbres (1964), David Warner en gauchiste décalé, à la limite de la folie, dans Morgan (1966), Vanessa Redgrave, danseuse géniale et fantasque dans Isadora (1968).
Tous ces films sont des réussites et ont franchi les années sans en porter le poids – même Isadora, dénaturé par ses producteurs. Reisz passe ensuite aux États-Unis, où il enchaînera des films aux sujets fort différents, mais tous dans la ligne de ses héros précédents, du professeur d'université qui bascule dans une dépendance dramatique au jeu (The Gambler, 1974, avec James Caan) à la chanteuse de country music Patsy Cline, écartelée entre succès publics et échecs amoureux (Sweet Dreams, 1985, avec Jessica Lange), en passant par le guerrier perdu retour du Vietnam (Les Guerriers de l'enfer, 1978, avec Nick Nolte).
Malgré la force de ces titres, ce n'est qu'avec La Maîtresse du lieutenant français (avec Meryl Streep et le débutant Jeremy Irons) qui collectionna prix et récompenses en 1981, qu'il connut la consécration internationale. À partir d'un beau roman (John Fowles) et d'un scénario superbe (Harold Pinter), Reisz réalisa son film le plus brillant. L'échec immérité de Chacun sa chance (1990) acheva prématurément une carrière pourtant sans faille.