" ... puisque le film se veut scrupuleuse relation de l'intinéraire à la fois concret et intérieur du héros; celui-ci sera dépeint suivant une démarche essentiellement dynamique. Et, en effet, Kazan a su nous faire ressentir le poids du temps comme modificateur du comportement. Entre le garçon turbulent du début et le jeune homme calculateur, roué, méfiant de la fin du film, s'établit une différence marquée, fruit de l'experience vécue, des succès et des déboires. Comme les jeunes amoureux de La Fièvre dans le sang, comme l'ingénieur du Fleuve sauvahe, Stavros subit et assume les bouleversements de l'existence; chaque épisode le façonne et modifie sa conduite. D'où cette impression de richesse psychologique, cette abondance de détails, cette complexité... chaque séquence éduque à la fois le héros et le spectateur (...) America, America, à travers la peinture de Stavros, devient non seulement le rapport d'une émigration effective, de Turquie en Amérique, mais aussi le passage d'un paysage intérieur à un autre, lente mutation qui n'ignore rien des stades intermédiaires, des arrêts momentanés, de tout ce qui peut retarder cette approche sinueuse de la maturité (...)
Certains moments privilégiés de feu, d'exaltation, de passion, frappent par leur beauté et leur sincérité. "Je vise à obtenir plus de beauté, plus de lyrisme que par le passé, déclare d'ailleurs Kazan. Auparavant, mes films étaient plus mécaniques". Le cinéaste découvre les prestiges de la contemplation et les concilie même à son souci de réalisme : cette effusion perce dans la description des visages humains : villageois traqués ou rieurs, émigrants sur le bateau, familles grecques de Constantinople, offrent prétexte au chant lyrique. Les plans généraux, très rares, se révèlent efficaces (...) parfois, la force de l'épanchement se résout dans le chant et la danse : la mélopée pathétique et plaintive de Stavros et Hohanness lorsqu'apparaissent les premières lueurs de la côte, la scène du cabaret, au tout début du film, où Stavros et Vartan au point culminant de leur danse murmurent : "America... America" comme une incantation..."
Claude Miller