"Chez Burton on raconte toujours les hauts faits du héros, ou plutôt du anti-héros, en entamant les films comme d'autres ouvrent de grands livres, avec ce respect solennel du mot écrit, du bruissement de la page tourné. Dans Big Fish, le bouquin a tendance à voler à la poubelle. Quel est ce vieux mourant qui ressasse ses interminables histoires de Licorne ou de Yeti avec la même conviction qu'à ses vingt ans? Plus personne ne semble le croire, si ce n'est ceux qui ont vu l'étincelle dans son blanc d’œil. Souvent les femmes, toujours plus fines chez le réalisateur, plus lucides et sensibles aux troubles du cœur. Sandra, l'épouse parfaite, celle qui glace le temps, ou Joséphine, dont le prénom romanesque la prédestine déjà au conte merveilleux. En pleines confessions intimes, Burton s'interroge, retourne la caméra et se met à nu. Il n'y a plus de réalisateur de navet qui vaille, de marginal lunaire pour parler en son nom, pour cristalliser sa projection. Burton et ses lubies de l'art du raconter, sa peinture rose des planches noires, ou sa peinture noire pour tromper l'ennemi, celui qui doute, cynisme au poing. Quelle plus belle arme pour lutter contre sa peur de la mort, de l'abandon, de la solitude, que de jouer avec, de désacraliser ces effroyables ennemis, et ainsi de gagner sur un autre tableau, celui où la vie éternelle est possible - la terre du fantasme. Loups-garous, bêtes de cirque, peuples cachés, sœurs siamoises, tous se sont donnés rendez-vous dans un coin de forêt pour faire la nique à la mort, car eux sont immortels et ne quitteront jamais le royaume des illusions. Celles qui vivent dans l’œil grand fermé, qu'on distingue parfois à peine, comme une sirène qui s'approche derrière la vitre embuée: ses élans sont plus visibles que ses traits les plus précis. Les personnages, eux, s'adressent à la caméra comme les enfants interrogent la sorcière, et l’œil répand sa prophétie, folklore bon marché mais qui pourrait se révéler véritable. L'objectif effectue un tour à 180°, regardant plus que jamais non plus le héros, mais le narrateur et son besoin névrotique de fantasme."
Nicolas Bardot