Quel joli film ! Drôle, incongru, tendre, décousu. Avec apparemment, pour qualité principale, celle de ne pas se prendre au sérieux. Et de sourire, avec une fraîcheur communicative, des choses graves, la fin de l'enfance, la fin d'un amour. Plus, en prime, mais toujours sur le mode ironique, de la création, et surtout du cinéma, côté coulisses, plateaux, envers du rêve...
L'histoire ? Il faut, certes se cramponner pour la suivre. Il y a bien un film directeur, accroché à la patte du héros, Ferdinand : scénariste et metteur en scène, il est payé pour écrire un film sur son enfance. Une enfance déjà cinématographique, puisque, petit garçon, il a joué un grand rôle dans un film. Mais ce fil à la patte n'empêche en rien Ferdinand, et son double le metteur en scène, de se lancer dans d'innombrables arabesques. Sur l'amitié, la trahison des femmes, l'écriture, la voiture, la passion, la foule des grands magasins, la fête foraine, la pingrerie des uns, la folie douce des autres, la tristesse ou la fête. Et sur Elsa surtout, qu'il aime toujours et qui ne l'aime plus...
Inutile de chercher, ici, de la logique : nous sommes au cinéma dans le cinéma, réalité et fiction s'emmêlent dans les caméras, passé et présent se donnent la main avec désinvolture, le petit garçon d'hier guide l'homme mûr d'aujourd'hui et la traîtresse du scénario conforte celle de la vie. Tout cela n'a aucune importance : le film coule, en chantonnant, cocktail acidulé de coq-à-l’âne, gentilles rosseries, élans graves se terminant en pirouttes.
On revit les années cinquante-soixante, l'époque des grosses voitures, des «stars» à la gorge pi-geonnante, on saute au rêve, dans la forêt de Mélusine, on se rétablit dans le bureau d'un gros producteur un peu borné ou sur le tournage du film d’aujourd'hui, on revient à l'enfance d'il y a vingt-cinq ans, on pleure Elsa qui a quitté Ferdinand, on retrouve Eisa, la vraie, ce n'est pas du tout celle que l'on croyait...
Vous n'y compenez rien ? Aucune importance. Le metteur en scène, Didier Haudepin, petit acteur prodige, à l'âge de son héros, de « Moderato Cantabile » au cinéma, de « la ville dont le prince est un enfant » au théâtre, raconte ses premières expériences en culottes courtes et, sans doute, ses problèmes d'aujourd'hui. En même temps, et avec le même recul lucide et plein d'humour. Il s'est adjugé, ici, le rôle de... son père, enfin, du père du petit garçon qui débute dans un film) et laisse la vedette à l'un de nos nouveaux « jeunes comédiens qui montent, François Cluzet. Qui est pour beaucoup dans le charme du film, un charme un peu voisin, en moins maîtrisé sans doute, de celui de « Vive la Sociale » de Mordillat, dont Cluzet était déjà le héros.
Autour de lui, les « seconds rôles » ont la même spontanéité gentiment ironique.Catherine Frot, délicieuse en mère un peu effarée d'un apprenti comédien de neuf ans, Lio la chanteuse au si joli sourire, Tom Novembre le copain un peu fêlé, et un irrésistible petit garçon inconnu, Maxime Mansion. Sélectionné à Cannes dans la section « Perspectives du cinéma français », « Elsa Elsa » n'est certes pas un chef-d'œuvre : au milieu, on risque même d'avoir envie d'abandonner, tant le scénario sautille cahotiquement. Et puis, la très jolie fin rachète tout et, en sortant, on a l'impression fort plaisante d'avoir pris un bon bain de fraîcheur.
Annie Coppermann, 24/10/1985